mardi 16 août 2011

"Une bombe a explosé à côté de mon bus"


Anne-Claire Tranchant - LA VIE

L'association Fraternité en Irak poursuit son voyage à la rencontre des chrétiens persécutés en Irak. Aujourd'hui ils s'arrêtent sur les épaves de sept bus, près de Mossoul. Tristes vestiges d'un attentat survenu le 2 mai 2010, qui a fait 2 morts et 180 blessés. Un jeune étudiant raconte.

Derrière un petit muret, des épaves de sept bus. Les vitres ont explosé, les intérieurs sont ravagés. Des traces de sang, noircies par le temps, sont encore visibles sur certains sièges. Des affaires d’étudiants traînent au sol. Ces bus transportaient quotidiennement, en convoi, 1050 étudiants entre Qaraqosh et l’université de Mossoul. Mgr Petros Moshe, évêque syriaque, nous présente à un jeune qui voyageait dans un de ces bus le dimanche 2 mai 2010. Nous écoutons, devant les débris, le récit de l’attentat dont lui et ses amis ont été victimes.

Après une tentative d’attentat sur le campus de Mossoul, le gouvernement avait attribué à ces bus une escorte de trois véhicules. Mais ce jour-là, elle s’est avérée inutile. Deux bombes ont explosé, ainsi qu’une voiture piégée. Sept bus ont été touchés. Les vitres ont volé, les carrosseries transpercées. D’un coup, l’enfer s’est déchaîné. Notre ami nous montre où il se trouvait, et où se trouvaient sa sœur et ses amis. Il a sorti sa sœur du bus. Tellement blessée qu’il l’a cru morte. Tellement défigurée que, par la suite, ses parents ne l’ont pas reconnue. Son visage renferme, aujourd’hui encore, un bout de verre qu’on n’a pu lui enlever, stigmate d’une violence insensée.

Les étudiants se sont extirpés des bus pour éviter une nouvelle explosion, ont coupé leurs vêtements pour des pansements d’urgence, et chacun a fait ce qu’il a pu pour venir en aide à ceux qui l’entouraient… Certains musulmans se sont arrêtés pour charger les blessés afin de les emmener à l’hôpital. Les secours ont beaucoup tardé. On nous parle, en diverses circonstances, de policiers qui se seraient réjouis ou auraient empêché des passants de prendre soin des blessés.

Notre ami nous raconte comment, par la suite, Farah dont la jambe a été coupée n’a pas pu obtenir de prothèse. Il nous explique que de nombreuses jeunes filles ont été défigurées et n’ont pas eu accès à une chirurgie esthétique. Abouna Nageeb, supérieur des Dominicains nous avait déjà parlé de cette jeune fille - parmi les plus jolies de la ville, nous dit notre ami - qui continue fièrement à aller à l’université de Mossoul malgré ses cicatrices. Elle a eu 156 points de suture au visage. Parce que la vie vaut d’être vécue, parce qu’elle veut réussir ses études envers et contre tout ! Le savoir et la pensée comme revanche contre la violence aveugle.

Malgré la puissance des explosions, cet attentat n’a fait que deux morts (mais 180 blessés) : Sandy, une étudiante, et Radyf, un jeune ouvrier qui passait par là, et qui a vu la première bombe. Il a arrêté la suite du convoi et perdu la vie dans l’explosion suivante : sa vie en a sauvé des dizaines.

Nous avons la gorge serrée devant ce jeune homme qui garde un sourire serein et un peu triste en nous racontant le déchaînement de souffrances auquel il a dû faire face. Malgré le choc, il nous explique qu’il continue à se rendre à Mossoul pour finir ses études. Avec pudeur il évoque les traumatismes psychologiques des blessés et de tous les autres présents ce jour-là.

Désormais, il n’y a plus de bus ; les étudiants prennent la voiture. Il nous dit qu’il prie tout le long du trajet. Lorsque nous lui demandons s’il est en colère, il reconnaît que oui. Mais il ne veut pas se laisser guider par la haine. « Regardez mon répertoire téléphonique : j’ai énormément d’amis musulmans ! »
Et de nous raconter que, lors de l’attentat, les musulmans d’un village voisin auraient vu la Vierge apparaître. Elle prenait les étudiants dans ses bras. Une seule en est tombée : Sandy. Ces gens ont tenu à venir voir l’évêque pour le lui raconter, et depuis, on parle du « jour de Marie » pour ce bloody sunday. On trouve, ici aussi, des artisans de paix.

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