mardi 16 août 2011

Qaraqosh, première ville chrétienne d'Irak


Hubert Montfort - LA VIE

Après une dizaines de jours passés au Kurdistan, à rencontrer les chrétiens et autres minorités religieuses persécutées, l'assocation "Fraternité en Irak" termine son périple à Qaraqosh, près de Mossoul. Une ville de 50 000 habitants, composé de 99% chrétiens.

"Ici nous sommes comme dans un grand four, la température monte, monte autour de nous jusqu’à ce que nous soyons tous brûlés", grommelle Boutros dans un français mal assuré. L’image est cruelle mais bien choisie par ce pizzaiolo du centre-ville de Qaraqosh, un bourg de 50 000 habitants dans la banlieue de Mossoul, composé de 99% de chrétiens. Quand on sait qu’il en reste aujourd’hui un peu moins de 500 000 dans tout l’Irak, on est saisi d’un vertige : cette ville où nous allons passer la fin de notre voyage concentre plus d’un dixième de tous les chrétiens du pays !

Mossoul, toute proche, deuxième ville de l’Irak, fief des extrémistes, est aussi la plus dangereuse : on entend souvent dire qu’un étranger y est repéré en moins de deux heures. Pour les minorités religieuses, la vie y est devenue impossible, il ne resterait plus que 2000 familles chrétiennes, les plus pauvres, celles qui n’ont nulle part où aller.

Il y a quelques jours dans le village de Komani, Georges, un chrétien d'une soixantaine d'années, nous racontait comment il s'était fait accueillir dans une une boulangerie de Mossoul : le boulanger a refusé de le servir, l’a traité de "mécréant" puis a pris un crucifix et s’est mis à cracher dessus. "Je lui ai cassé la figure, nous a dit Georges, ne pouvant supporter, et quelques jours plus tard j’ai quitté la ville". Des anecdotes comme celle-ci, avec leur violence, émaillent notre périple.

Mais pour l’heure nous quittons Boutros, ses pizzas et sa jeune clientèle pour aller boire le thé chez une famille non loin de là. Pas moins de 13 personnes habitent la maison : les grands-parents, leurs enfants et leurs petits-enfants. Fadi et Maryam, la soixantaine avancée, ont eu quatre filles et quatre garçons : trois sont médecins, deux autres ingénieurs, l’une est photographe ; deux des filles et deux des garçons vivent à l’étranger, aux Etats-Unis ou en Suède. Tous sont mariés et trois petits enfants sont déjà nés. Dans le salon on aperçoit des photos de famille : chaque enfant immortalisé lors de sa remise de diplôme, portant la toge et la toque comme dans les universités américaines.

Cette famille est en quelque sorte le stéréotype de l’empreinte chrétienne en Irak : une population très éduquée et une forte propension à l’émigration. Les chrétiens ont toujours été sur-représentés dans les professions intellectuelles : ainsi avant 2003, près de 30% des médecins en Irak étaient chrétiens alors qu’ils n’étaient que 5% de la population. D’après certains témoignages, il n’y aurait plus aucun médecin chrétien en exercice dans un hôpital public à Bagdad, par crainte du terrorisme.

Par chance, la famille chez qui nous sommes n’a pas vécu ce genre de drame. Ce n’est pas le cas d’une de leurs amies proches, qui est venue ce soir avec sa fille : son père a été décapité à Mossoul il y a trois ans. Devant cette douleur, nous ne pouvons pas grand chose, si ce n’est pleurer avec cette femme et la serrer dans nos bras. Nous essayons d’oublier cette tristesse en chantant dans ce salon presque trop étroit pour nous tous.

Après quelques prières en arabe, en araméen et en français, un père dominicain irakien entonne "Alouette je te plumerai", qui est aussitôt repris à l’unisson : voilà bien des années que nous n’avions pas entendu ce chant même en France ! La visite s’achève et en guise de remerciement une fillette de sept ans fredonne seule une belle chanson en syriaque : nous n’en comprendrons pas le sens si ce n’est quelques mots traduits par sa mère : "Jésus est dans le ciel, Jésus est mon sauveur".

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