mardi 16 août 2011

Emigration ou repli communautaire?


Hubert Montfort - LA VIE

Les membres de l'association Fraternité en Irak, dont nous publions le carnet de bord au jour le jour, poursuivent leur périple dans les villages montagnards du Kurdistan, à la rencontre des familles chrétiennes réfugiées.

Après la belle célébration de première communion à Enshkey, nous marchons à la suite d’Abouna Samir, jeune prêtre chaldéen en charge de cinq villages montagnards aux alentours. Ordonné à Mossoul, cet italianophone a dû quitter la ville en raison des persécutions. Il nous présente sa mère, ses sœurs et ses frères qui se sont installés définitivement dans leur résidence secondaire d’Enshkey. Face à l’insécurité et aux attentats, ils ont été dans l’obligation de vendre leur maison de Mossoul pour un prix trois fois inférieur au prix normal.

Nous comprenons que les minorités religieuses de la deuxième ville d’Irak vivent l’enfer au quotidien : les gangs et les groupuscules djihadistes y font régner leur loi, les quelque centaines de familles chrétiennes restantes doivent s’acquitter d’impôts auprès des différentes factions pour acheter leur tranquillité ou plutôt leur survie.

Au cours de cette entrevue, nous faisons également la connaissance de Youssef, 23 ans, le jeune cousin du père Samir, qui a fait des études pour être professeur d'anglais. Contrairement à de nombreux jeunes de son âge, Youssef ne veut pas quitter son pays : il est indispensable pour lui de rester auprès de sa famille.  Il vit donc à plein temps à Enshkey. Certes on s’ennuie un peu dans le village, alors il envisage d’aller enseigner à Dohuk, la grande ville kurde de la région, où à l’initiative de l’évêque chaldéen, Mgr Rabban, un lycée international a vu le jour. Celui-ci accueille gratuitement tous les élèves : chrétiens, musulmans, Turkmènes, Kurdes, filles et garçons, et tous les cours sont dispensés en anglais. Pour autant, le jeune homme comprend les aspirations au départ de certains chrétiens, il a d’ailleurs un grand frère qui est parti en Allemagne. La première raison, c’est "qu’ils n’en peuvent plus de souffrir. Quand vous avez changé trois ou quatre fois de maison, quitté Mossoul pour Bagdad, puis Bagdad pour le Kurdistan, à cause des terroristes, alors vous n’avez plus qu’un seul désir : quitter le pays pour toujours".

Par ailleurs les chrétiens arabophones du sud de l’Irak, de Mossoul et de Bagdad ne parlent pas kurde, ce qui est un sérieux handicap pour leur intégration. "Souvent, nous dit Youssef, les commerçants kurdes peuvent arnaquer les arabophones. Il est plus difficile aussi de trouver un travail". Logiquement ces réfugiés se sentent étrangers au Kurdistan.

Quitte à être des étrangers, certains préfèrent l’être en dehors d’Irak. Dans son village, Youssef se sent en sécurité, même si la vie n’a pas toujours été idyllique : avant 2003, Saddam Hussein avait confisqué des terres pour faire construire son palais sur la plus haute colline de la commune. Youssef ne se souvient pas de ce temps là. Il sait juste que Saddam l’a pris dans ses bras quand il n’avait que six mois. Au cours des années 1980 et 1990, les expéditions punitives du régime ont fortement éprouvé les populations civiles, au point qu’on parle de génocide.

Les Kurdes, qui ont acquis une certaine autonomie depuis l’intervention américaine, sont certes tolérants avec les chrétiens qu’ils savent pacifistes, mais continuent à cultiver une certaine méfiance. Pour les chrétiens du Kurdistan la marge de manœuvre est donc ténue entre le repli communautaire et l’émigration. Mais Youssef veut rester optimiste : le maintien des chrétiens en Irak, du moins au Kurdistan, là où ils sont en sécurité aujourd’hui, ne peut se faire sans deux piliers : la santé et l’éducation, car « sans cela les jeunes et les familles vont partir ».

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire