lundi 29 août 2011

Le gouvernement turc va restituer des biens saisis à des minorités religieuses


Source : La Croix

Dimanche 28 août, quelques heures avant le repas de l’iftar au cours duquel le premier ministre Recep Tayyip Erdogan devait rencontrer les représentants des minorités religieuses de Turquie, un décret visant à restituer des milliers de biens confisqués aux minorités après le recensement de 1936 a été publié.

« Comme tout le monde, nous connaissons les injustices que des groupes religieux ont eues à subir du fait de leur différence. L’époque où un citoyen pouvait être opprimé à cause de sa religion, son origine ethnique ou sa façon de vivre est révolue », a souligné le premier ministre.

Les premiers bénéficiaires de cette mesure seront les chrétiens grecs-orthodoxes et arméniens, ainsi que les juifs, les catholiques latins ne bénéficiant pas du statut de minorités reconnues par le gouvernement turc, selon les termes du Traité de Lausanne.

« Indemnisation juste »

Pour beaucoup, la publication de ce projet de loi résonne comme un changement de cap indéniable en Turquie, après des années d’opposition ultra-laïque face à toute reconnaissance des minorités. Il semble que le gouvernement envisage bel et bien d’infléchir sa politique vis-à-vis des communautés religieuses, notamment chrétiennes.

Et ce n’est sans doute pas un hasard si ce décret intervient après les demandes répétées du patriarche œcuménique Bartholomeos Ier de Constantinople pour le retour des biens injustement usurpés aux minorités. À plusieurs reprises, le patriarche avait porté cette cause auprès d’instances européennes.
Le décret prévoit notamment la restitution des biens tels qu’ils ont été enregistrés en 1936 avant d’être confisqués aux fondations religieuses, le retour de la gestion des cimetières appartenant à des fondations non-musulmanes, mais aussi la restitution d’églises et de monastères appartement à plusieurs communautés.

Dans le cas où ces propriétés ont été vendues ou cédées par l’État turc, le ministre des finances devra convenir d’une « indemnisation juste » avec les propriétaires. Les parties concernées sont invitées à soumettre leur dossier à la direction générale des fondations dans les douze prochains mois.

Demandes réitérées de l’Union européenne

Selon les premières estimations, le décret prévoit de restituer 1000 propriétés aux grecs-orthodoxes, 100 aux arméniens, ainsi que de nombreuses propriétés aux catholiques chaldéens et aux juifs.
Le décret a suscité des réactions positives parmi les représentants des minorités. Le directeur des fondations non-musulmanes y voit « une étape de grande importance et de portée historique ».

L’avocat des minorités, le Dr Kezmpan, la décrit pour sa part « comme une grande révolution ». Pour un autre avocat, le Dr Hatem, « le tort fait à l’Église est réparé ».

Ces dernières années, l’Union européenne n’a cessé de demander à la Turquie de prendre des mesures pour supprimer les lois discriminatoires contre les minorités religieuses. Moins de 1 % des 74 millions de Turcs appartiennent à ces minorités. Parmi eux, il y aurait entre 90 000 et 120 000 chrétiens et environ 25 000 juifs.

 François-Xavier Maigre (avec New York Times et AsiaNews)

jeudi 25 août 2011

Etats-Unis : réseau de trafic d'armes et drogues démantelé


Source : The Associated Press

Les autorités policières américaines auraient démantelé, jeudi dernier (18 août 2011), un réseau de trafic d'armes et de drogues auquel participaient des membres de la communauté irakienne de San Diego et un important cartel mexicain de narcotrafiquants.

Les policiers de la ville d'El Cajon, près de la frontière entre les deux pays, ont précisé que plus de 60 suspects qui seraient associés au Syndicat de crime organisé chaldéen ont été épinglés. Les trafiquants expédiaient depuis El Cajon des armes à des Irakiens de Détroit, où l'organisme a son quartier-général.

Les policiers fédéraux et ceux d'El Cajon ont ajouté avoir saisi huit kilos de métamphétamines, de narcotiques, de cocaïne et d'autres drogues ; plus de 1600 kilos de marijuana ; 630 000 dollars américains en espèces ; quatre mines artisanales et plus de 30 armes, dont des fusils d'assaut.

L'enquête a débuté en avril quand un agent américain d'infiltration s'est vu offrir une grenade par un immigrant, qui lui a promis pouvoir en obtenir d'autres d'une source militaire mexicaine.

Cette source serait en fait le cartel de narcotrafiquants de Sinaloa, le plus puissant du Mexique. Son chef, Joaquin «El Chapo» Guzman, est devenu immensément riche et compte parmi les hommes les plus recherchés de la planète depuis qu'il s'est évadé de prison il y a dix ans.

VIDEO. La Vierge qui pleure attire toujours des fidèles


Source : Le Parisien

En mars 2010, une icône de la Vierge Marie avait défrayé la chronique en versant des larmes d’huile. Aujourd’hui, elle ne pleure quasiment plus, mais les visiteurs continuent d’affluer.

Arnaud Baur | Publié le 15.08.2011, 07h00

Malgré l’Assomption, aucune visite n’est organisée aujourd’hui dans la maison de Garges-lès-Gonesse abritant l’icône de la Vierge Marie, qui a tant fait parler d’elle l’an dernier. Plus d’un an et demi après la passion déchaînée par les larmes qu’elle versait, ce qui avait attiré alors des centaines de pèlerins de nombreux pays, le petit pavillon de ces chrétiens orthodoxes d’origine turque accueille pourtant toujours les croyants.

« Cela n’a pas changé, indique Christine, une des filles de la famille. Le tableau représentant la Vierge est toujours placé au fond du couloir menant à la chambre de notre mère, à gauche. Le cadre en Plexiglas qui avait été posé à l’époque est encore en place. Mais le tableau est très abîmé à force de frotter dessus avec des morceaux de coton… »

Au mois de mars 2010, la nouvelle avait fait le tour du monde. Une icône de la Vierge pleure des larmes d’huile à l’intérieur d’une maison à Garges-lès-Gonesse. Miracle ou supercherie? Des centaines de croyants affluent. De l’ensemble de l’Ile-de-France, d’autres régions de France, d’Europe… Certains viennent même des Antilles, des Etats-Unis, d’Australie ou de Chine pour voir de leurs yeux, toucher, prier, se recueillir. Tous ou presque prennent en photo l’icône. Certains essuient le tableau à l’aide de petits bouts de coton afin d’emporter le « divin liquide ». Sur place, force est de constater qu’un liquide gras et jaunâtre coule légèrement sur le mur en dessous du tableau. Explications scientifiques, interprétations ésotériques, tout le monde y va de son commentaire. L’objet de dévotion, une icône en bois offerte par un patriarche grec de l’église orthodoxe Georges-Bizet à Paris (XVIe) fait en tout cas couler beaucoup de salive et d’encre.

VIDEO. Les incroyables larmes de l'icône
Visionnez la vidéo sur le site internet du Parisien en cliquant ici !

Les larmes s’étaient interrompues au bout de quelques semaines, aussi subitement qu’elles étaient apparues, mais cela n’empêche pas les fidèles ou curieux de continuer à venir frapper à la porte du pavillon. « Cette année, ça s’est tout de même calmé, souffle Christine. Mais on reçoit énormément de courrier. On essaye d’y répondre au maximum. Nous accueillons les gens un jour par semaine, généralement le mercredi. Désormais, ce sont souvent les mêmes personnes, une dizaine ou une vingtaine habitant la région, qui reviennent. »

Toujours sollicités, les propriétaires du pavillon ont interrompu les visites durant les vacances d’été afin d’avoir un peu de vie privée. « Il y a eu trois naissances dans la famille cette année, glisse Christine en guise d’explications. Toutefois, les visites reprendront en septembre. » D’autant qu’à en croire la famille le « miracle » s’est reproduit. « La toile suinte de temps en temps, notamment lors des fêtes religieuses. Cela a d’ailleurs été le cas à Pâques cette année », rapporte Christine.

Le Parisien

mercredi 24 août 2011

« Jeunes, n’émigrez pas », lance Mgr Warduni aux jeunes irakiens


Catéchèse du vicaire patriarcal chaldéen de Bagdad

ROME, Vendredi 19 août 2011 (ZENIT.org) – « Jeunes, n’émigrez pas, soyez enracinés dans le Christ. Notre terre a besoin de vous ! ». C’est ainsi que Mgr Shlemon Warduni, vicaire patriarcal chaldéen de Bagdad s’est adressé aux jeunes arabes chrétiens au cours de la seconde catéchèse des JMJ de Madrid.

Le prélat, cité par l’agence italienne SIR, a rappelé l’importance de « rester attachés au Christ pour porter du fruit pour nous, pour l’Eglise et pour nos pays. Ces fruits sont le témoignage, le pardon, la réconciliation et l’accueil. Le Christ est notre espérance », a-t-il affirmé.

« Notre présence ici à Madrid doit nous renforcer dans la foi et nous enraciner en Christ », a poursuivi l’évêque. « Ce n’est qu’ainsi que nous réussirons à trouver la force, le courage et la fermeté pour dépasser chaque obstacle ».

« Le Christ nous veut dans notre terre d’origine qui a besoin de nous. Nous ne nous cachons pas les difficultés qui sont nombreuses, mais nous sommes invités à faire comme les disciples du Christ qui après la descente de l’Esprit Saint n’ont plus eu peur et ont commencé à témoigner de l'Évangile ».

« Vous êtes les témoins de l'Église du Moyen-Orient – a enfin affirmé le prélat en parlant aux jeunes irakiens, égyptiens, syriens et libanais – qui compte sur vous pour continuer à avoir un avenir. Mais il est nécessaire d’être enracinés en Christ à travers la prière, les sacrements et le partage de vie comme nous le faisons actuellement à Madrid ».

Irak : La liberté de tuer !


Mgr Shlemon Warduni, évêque chaldéen de Bagdad
Photo AED

Source : Aide à l'Eglise en Détresse

En entrevue avec l’organisme de charité catholique l’Aide à l’Église en Détresse (AED), à Madrid lors des Journées Mondiales de la Jeunesse, Mgr Shlemon Warduni, évêque chaldéen de Bagdad, a dénoncé la situation des chrétiens en Irak.

Il faisait ainsi référence au regain de violence que ceux-ci ont subi lors des attaques ayant eu lieu à travers le pays, lundi dernier. En effet, plus de 65 personnes ont été tuées et 50 autres blessées dans au moins 17 attaques distinctes dans le pays, dont deux à Kut, une ville au Sud-Est de Bagdad.

Il a aussi critiqué la détérioration de la sécurité dans le pays depuis l’invasion de l’Irak en 2003. « Pourquoi sont-ils venus? Pour faire quoi? Pour nous donner la liberté, la liberté de nous tuer les uns les autres? » S’est-il demandé.

« Je suis avec vous jusqu’à la fin »

Puis, Mgr Warduni a déploré la diminution de la présence chrétienne dans le pays, en pensant à l’exode des fidèles à l’étranger à cause de la violence. Selon les estimations, le nombre de chrétiens en Irak ne dépasserait pas 200 000. « Il y a eu plus d’immigration ces quelques dernières années que dans les 300 précédentes. »

L’évêque de Bagdad a souligné sa détermination à rester dans le pays malgré la violence en disant : « Je suis un évêque, je suis un berger, je dois être là jusqu’à ce que le Seigneur m’appelle ailleurs.»

Ensuite, en parlant de la foi des communautés chrétiennes en Irak, il a dit : « Notre espoir est seulement dans le Seigneur. » Il a invité tout le monde à prier pour la paix et la sécurité et pour éclairer les gouvernements à faire le bien pour l’Irak et le Moyen-Orient.

L’évêque a de plus condamné les pays et les entreprises qui font le commerce des armes permettant ainsi aux malfaiteurs de commettre ces actes de violence.

Puis, il a parlé de la nécessité pour les chrétiens d’avoir confiance en Jésus dans les moments difficiles. « Pour nous, chrétiens, notre force est dans le Seigneur. » Puis ajoutant « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps. » « N’ayez crainte. »

Enfin, Mgr Warduni a remercié l’AED pour son aide à l’Église en Irak : « Je remercie tout le monde de l’AED et je prie pour chacun d’eux.»

En guise de conclusion, il a imploré chacun de faire de son mieux pour que la paix et la sécurité reviennent « sans quoi nous ne pouvons vivre. »

mardi 16 août 2011

A Kirkuk, les chrétiens persécutés veulent promouvoir le dialogue interreligieux


Benoît S - LA VIE

Pendant 15 jours, les membres de l'association "Fraternité en Irak" partent à la rencontre des minorités religieuses au Kurdistan, pour témoigner de leur soutien et distrubuer des médicaments, avec l'appui de Mgr Sako, archevêque de Kirkuk. Au jour le jour, lavie.fr publie le récit de leur voyage et de leur action, au fil de leurs rencontres.

"Le plus beau pour moi depuis que je suis évêque à Kirkuk c’est d’aller à la rencontre des communautés musulmanes, pour initier un dialogue" nous explique Mgr Sako. Le 31 mai 2011, peu de temps après un attentat important et des enlèvements dont celui d’un chrétien qui a été retrouvé assassiné, tous les représentants musulmans de la ville se sont rassemblés dans la cathédrale à l’invitation de l'évêque.

L’objet de cette rencontre était de demander tous ensemble à la Vierge Marie de donner la paix à Kirkuk. Nous sommes très impressionnés par cette rencontre porteuse d’espérance pour les minorités religieuses du Proche-Orient. Au fil des discussions nous comprenons qu’il existe à Kirkuk de vrais échanges avec les représentants musulmans et même une relation d’amitié.

Pour Mgr Sako, il s’agit aussi d’inviter les musulmans à réfléchir sur le Coran, à "amorcer une exégèse, à dialoguer sur les fondements de notre foi respective […] Les chrétiens doivent découvrir la dimension missionnaire de leur présence dans les pays musulmans. Nous devons promouvoir le dialogue interreligieux sur la base des identités diverses, en établissant une relation fondée sur une compréhension mutuelle. Nous voulons croire en l’espérance, malgré les désillusions et de nombreuses difficultés".

Hier, l’évêque a remis à l’hôpital central de Kirkuk les 300 kg de médicaments que nous lui avons apportés. Il souhaite que ces médicaments soient mis à disposition de tout le monde, spécialement les personnes pauvres, sans distinction d’appartenance religieuse. Ce geste de partage à l’égard des autres communautés de Kirkuk, à la veille du Ramadan, est un beau symbole. Quelle joie immense pour nous de savoir que ces médicaments (antibiotiques, anti-hypertenseurs et traitements contre l’asthme) difficiles à financer, pourraient être donnés dans une perspective aussi belle : soigner et contribuer à approfondir l’amitié entre les communautés de Kirkuk. Et comment aurions-nous pu imaginer l’écho de cet événement : une vingtaine de chaines de télévision ont fait le déplacement…  Ce dialogue avec les représentants musulmans nous impressionne : peut-être y a-t-il là des leçons à tirer pour faciliter nos rapports avec l’islam en France notamment après les récentes polémiques ?

A Kirkuk nous avons aussi rencontré une représentante de la communauté des Mandéens - des disciples méconnus de Saint Jean-Baptiste. Persécutés eux aussi, ils se sont pour certains réfugiés à Kirkuk. L’avenir de cette communauté étonnante et mystérieuse se joue actuellement en Irak. Le rôle que les chrétiens du pays jouent pour les aider est émouvant : des persécutés aident d’autres persécutés, gratuitement. La générosité des uns envers les autres, dans un contexte encore complexe, et malgré les différences, est un exemple. Dans une ville comme Kirkuk, où les tensions restent palpables, ces initiatives ouvrent une voie salutaire pour l’avenir du dialogue interreligieux.

"L'exil n'est pas la solution"


Hubert Montfort - LA VIE

L'association "Fraternité en Irak" continue son périple au Kurdistan, à la rencontre des minorités religieuses. Avant de quitter Kirkuk, la capitale, le groupe a rendez-vous avec Chad, diacre à la cathédrale.

Il fait encore très chaud lorsque le soleil descend à l'horizon comme pour saluer notre dernière veillée nocturne à Kirkuk, l'une des plus anciennes cités du monde. La journée a été riche d'échanges et d'émotions. Nous avons rendez-vous avec Chad, diacre à la cathédrale.

L'hospitalité arabe n'est pas un mythe, elle l'est encore moins chez les Irakiens. Comme tout rituel multiséculaire, elle possède ses codes et ses passages initiatiques. Pour Chad, nous serons acceptés sous son toit à condition de rendre au préalable visite à ses parents, puis à ses beaux-parents. Une manière de mieux nous introduire dans sa famille et dans son quotidien. Avant d'y parvenir nous devons traverser en voiture les rues défoncées de Kirkuk, qui nous rappellent qu'il règne encore ici un vrai climat d'anarchie : les trottoirs sont poussiéreux et jonchés d'immondices, les voitures roulent à tombeau ouvert, quelques feux de poubelles illuminent la nuit. «Welcome in Irak» ! nous lance le diacre.

Après ces visites d’une ou deux heures, nous arrivons enfin dans le foyer familial de Chad, cellule confortable et tranquille où nous nous sentons en sécurité, mais aussi, d’une certaine manière, un peu en état de siège. Nous sommes alors accueillis par son épouse et deux petits visages poupons au sourire coquin : Manar (la lumière en arabe), neuf ans, fils aîné de notre hôte et sa petite sœur Maryam. Pendant que les parents s'affairent dans la cuisine, nous écoutons attentivement le garçon au piano : ses petits doigts habiles nous jouent l'hymne national irakien, tout un symbole pour ces gens déchirés entre leur attachement à cette terre natale et leurs rêves d’une vie plus sûre hors d’Irak.
Comme souvent depuis le début de notre voyage le dîner commence par les traditionnelles formules d’usage. Et cette fois, lorsque nous leur demandons comment nous pouvons leur rendre service en tant qu’Européens, les langues se délient. Chad et sa femme Maara acceptent de nous ouvrir leur cœur. Pour ce père, l’exil n’est pas la solution car quoi qu’il arrive un réfugié restera toujours un étranger aussi bien dans sa terre d’accueil que dans sa terre d’origine. « Cette terre est ma terre ! Personne n’oblige les oiseaux ou les animaux à quitter leurs maisons ! Alors pourquoi nous ? ».

Pour la mère de famille, en revanche, la fuite apparaît comme la seule manière d’échapper vraiment au danger, et de mettre à l’abri ses deux enfants. Pourquoi, nous dit-elle, chaque pays européen ne pourrait-il pas accueillir une petite partie des réfugiés chez lui ? Au sein de ce couple, le déchirement entre partir ou rester, illustre à lui seul, dans cette petite salle à manger de Kirkuk, toutes les difficultés qu’éprouvent les chrétiens d’Irak. Au sein du couple, c’est la communion qui a pris le pas sur le reste. Au hasard des regards, nous devinons que la complicité amoureuse s’est affermie au fil des difficultés. Alors que Maara se lève pour nous servir, Chad, la prenant par la taille, nous lance fièrement : « Regardez comme elle est belle ! ».

Les bouleversants témoignages des réfugiés de Sulaymania


Benoît S - LA VIE

Après plusieurs jours passés à Kiruk, capitale du Kurdistan, l'association "Fraternité en Irak" continue son périple à Sulaymania, où ils recueillent les témoignages de plusieurs familles de chrétiens persécutés.

En quittant Kirkuk nous réalisons combien nous nous y sommes attachés tant les rencontres que nous y avons faites ont été intenses. Sur la route de Sulaymania les check point se suivent à mesure que nous quittons le désert et que des montagnes lui succèdent. Accueillis pour le déjeuner par le curé, abouna Ayman, nous comprenons vite que nos rencontres seront très différentes de celle de Kirkuk, où les familles habitent encore leur ville d’origine. Abouna Ayman nous montre la grande salle paroissiale où il a accueilli plusieurs dizaines de réfugiés, après l'attentat du 31 octobre à la cathédrale de Bagdad.

Quelques heures après notre arrivée, nous rencontrons plusieurs familles. Nous précisons qui nous sommes, le but de notre venue. Un homme prend la parole, expliquant que chaque famille dans la salle a une histoire lourde à nous raconter. « Un matin, j'ai trouvé une lettre à mon nom. Nous étions menacés de mort. Ma famille et moi devions quitter Bagdad sous 48h. Nous avons dû tout abandonner. Je suis parti en Syrie tandis que ma femme et mes enfants étaient heureusement accueillis ici ».

Une femme au regard triste prend la parole à son tour. Le père Ayman se charge de la traduction. Elle est arrivée de Bagdad il y a une semaine. Suite à des menaces, sa famille a dû déménager une première fois au sein même de Bagdad et s'est installée dans le quartier de Dora. Appelé autrefois « le petit Vatican », cette zone est l'une de celles où les persécutions sont aujourd’hui les plus violentes. Une nuit, leur propriétaire vient les sommer de quitter l'appartement sur le champ. Ils refusent. Surgit un minibus dont les occupants les menacent de mort. La gorge de la femme se noue à mesure qu'elle raconte son histoire. Elle ne peut retenir ses larmes au moment où elle évoque les « accidents » dont ses fils ont été victimes. L'un a eu l'audition endommagée suite à l'explosion d'une voiture piégée sur le chemin de son école, l'autre a eu le tympan arraché par le souffle de la bombe qui a ravagé le magasin dans lequel il travaillait.

Walid arrive lui aussi de Bagdad. Il avait déjà fui Mossoul où sa femme était contrainte de porter le hijab et où plusieurs de ses voisins ont été kidnappés. « En rentrant chez nous, nous craignions systématiquement d'être attendus par des terroristes, j'étais en permanence inquiet pour ma femme et ma fille, c'est pourquoi nous avons fui à Bagdad. Le lendemain de l'attentat contre la cathédrale du Perpétuel Secours, une personne est venue à moto devant chez nous en nous désignant comme des chrétiens... Mon père a subi la même menace un peu plus loin. Nous sommes partis. Ma famille et moi avons été très bien accueillis ici à Sulaymania ».

Ces témoignages nous émeuvent autant qu’ils nous pétrifient. Nous sommes, malgré la terrible souffrance exprimée, heureux de voir que ces gens très éprouvés ne sont pas abandonnés. Les derniers témoignages insistent sur l'accueil que la population leur a réservé, sur les aides reçues du gouvernement, sur la grande fraternité qui unit tous les chrétiens de la ville.

Cris de joie dans les montagnes du Kurdistan


Raphaëlle Autric - LA VIE

Les membres de l'association Fraternité en Irak, partis à la rencontre des chrétiens persécutés du Kurdistan, poursuivent leur périple à Enshkey, un petit village montagnard où ils ont assisté à la cérémonie de communion de 20 jeunes Irakiens.

Nous quittons la plaine pour les montagnes du Kurdistan. Un vent de sable fait ployer les arbres. La nature devient plus verte, nous perdons quelques degrés. A flanc de colline, nous retrouvons Mgr Rabban, évêque chaldéen, dans le petit village de Komani, à majorité chrétienne. Dans la cour de l’évêché, plusieurs enfants sont assis en rond et récitent quelque chose en araméen, sous le regard attentif d’une jeune catéchiste. Ici, les chrétiens parlent encore la langue de Jésus. Demain est un jour important pour eux puisque une vingtaine d’enfants feront leur première communion dans l’église du village d’Enshkey, à quelques kilomètres de là.

Le lendemain, nous arrivons juste à l’heure. Les communiants sont vêtus de blanc, garçon d’un côté, filles de l’autre, l’évêque derrière. Devant, un enfant de cœur aux yeux noirs porte une grande croix. Ils attendent de rentrer dans l’église. Cette dernière est minuscule. Les autres enfants, nombreux, sont placés à l’extérieur sur des petits bancs. Le curé de la paroisse nous dira à la sortie qu’il a demandé aux familles de ne pas venir au complet, faute de place. A l’intérieur, la climatisation refroidit l’air tant bien que mal et les ventilateurs ronronnent. Le piano électrique est lancé, les enfants entrent cérémonieusement et se placent dans le chœur, chantant à plein poumon des refrains qu’ils connaissent sur le bout des doigts. Les petites filles portent des voiles bordés d’un liseré rouge. L’évêque célèbre la messe, assisté par le curé du village, le père Samir Yousif. Au moment de la communion, un homme passe dans les rangs pour distribuer des mantilles en dentelles blanches aux femmes qui n’ont pas la tête couverte.

Nous voici désormais incognito parmi les fidèles. La cérémonie est émouvante. A ma gauche une vieille femme pleure. Sans doute son petit-fils ou sa petite-fille fait partie des enfants de blanc vêtus. Sans doute est-elle émue de voir se transmettre de génération en génération la foi de ses ancêtres. Ainsi depuis 2000 ans chez ce peuple assyrien. Les enfants s’approchent de l’autel l’un après l’autre, entourés de leurs parents, et communient pour la première fois. La messe touche à sa fin. Les youyous des femmes éclatent comme autant de cris de joie saisissants. Avant de sortir de la petite église, les jeunes viennent entourer leur évêque pour une photo de groupe. Les petits regards bleus se figent pour toujours.

Dehors ont été dressées plusieurs tables. Sous la chaleur, les chocolats fondent à vue d’œil. Nous sommes embrassés autant que les petits enfants. Les gens sont curieux de nous, nous proposent à boire, nous posent des questions. La fête dure jusqu’au soir. Nous voici chez une famille qui a réuni pour l’occasion voisins et amis. La petite communiante, toujours en habit blanc, trône dans un large fauteuil, au centre des invités. Les hommes préparent la viande. Les femmes nous font entrer dans leur danse, les enfants gesticulent au milieu. Ce soir, sous les étoiles d’Enshkey, nous ne voyons que les sourires de nos hôtes. Ce soir, la joie et les rires prennent toute la place.

Emigration ou repli communautaire?


Hubert Montfort - LA VIE

Les membres de l'association Fraternité en Irak, dont nous publions le carnet de bord au jour le jour, poursuivent leur périple dans les villages montagnards du Kurdistan, à la rencontre des familles chrétiennes réfugiées.

Après la belle célébration de première communion à Enshkey, nous marchons à la suite d’Abouna Samir, jeune prêtre chaldéen en charge de cinq villages montagnards aux alentours. Ordonné à Mossoul, cet italianophone a dû quitter la ville en raison des persécutions. Il nous présente sa mère, ses sœurs et ses frères qui se sont installés définitivement dans leur résidence secondaire d’Enshkey. Face à l’insécurité et aux attentats, ils ont été dans l’obligation de vendre leur maison de Mossoul pour un prix trois fois inférieur au prix normal.

Nous comprenons que les minorités religieuses de la deuxième ville d’Irak vivent l’enfer au quotidien : les gangs et les groupuscules djihadistes y font régner leur loi, les quelque centaines de familles chrétiennes restantes doivent s’acquitter d’impôts auprès des différentes factions pour acheter leur tranquillité ou plutôt leur survie.

Au cours de cette entrevue, nous faisons également la connaissance de Youssef, 23 ans, le jeune cousin du père Samir, qui a fait des études pour être professeur d'anglais. Contrairement à de nombreux jeunes de son âge, Youssef ne veut pas quitter son pays : il est indispensable pour lui de rester auprès de sa famille.  Il vit donc à plein temps à Enshkey. Certes on s’ennuie un peu dans le village, alors il envisage d’aller enseigner à Dohuk, la grande ville kurde de la région, où à l’initiative de l’évêque chaldéen, Mgr Rabban, un lycée international a vu le jour. Celui-ci accueille gratuitement tous les élèves : chrétiens, musulmans, Turkmènes, Kurdes, filles et garçons, et tous les cours sont dispensés en anglais. Pour autant, le jeune homme comprend les aspirations au départ de certains chrétiens, il a d’ailleurs un grand frère qui est parti en Allemagne. La première raison, c’est "qu’ils n’en peuvent plus de souffrir. Quand vous avez changé trois ou quatre fois de maison, quitté Mossoul pour Bagdad, puis Bagdad pour le Kurdistan, à cause des terroristes, alors vous n’avez plus qu’un seul désir : quitter le pays pour toujours".

Par ailleurs les chrétiens arabophones du sud de l’Irak, de Mossoul et de Bagdad ne parlent pas kurde, ce qui est un sérieux handicap pour leur intégration. "Souvent, nous dit Youssef, les commerçants kurdes peuvent arnaquer les arabophones. Il est plus difficile aussi de trouver un travail". Logiquement ces réfugiés se sentent étrangers au Kurdistan.

Quitte à être des étrangers, certains préfèrent l’être en dehors d’Irak. Dans son village, Youssef se sent en sécurité, même si la vie n’a pas toujours été idyllique : avant 2003, Saddam Hussein avait confisqué des terres pour faire construire son palais sur la plus haute colline de la commune. Youssef ne se souvient pas de ce temps là. Il sait juste que Saddam l’a pris dans ses bras quand il n’avait que six mois. Au cours des années 1980 et 1990, les expéditions punitives du régime ont fortement éprouvé les populations civiles, au point qu’on parle de génocide.

Les Kurdes, qui ont acquis une certaine autonomie depuis l’intervention américaine, sont certes tolérants avec les chrétiens qu’ils savent pacifistes, mais continuent à cultiver une certaine méfiance. Pour les chrétiens du Kurdistan la marge de manœuvre est donc ténue entre le repli communautaire et l’émigration. Mais Youssef veut rester optimiste : le maintien des chrétiens en Irak, du moins au Kurdistan, là où ils sont en sécurité aujourd’hui, ne peut se faire sans deux piliers : la santé et l’éducation, car « sans cela les jeunes et les familles vont partir ».

A la découverte du père Gabriel, l’ange de Ninive


Hubert Veauvy & Hubert Montfort - LA VIE

Après la rencontre avec les familles chrétiennes des villages montagnards du Kurdistan, le pépiple de l'association Fraternité en Irak se poursuit au monastère Saint Marie d'Al-Quosh, près de Mossoul.

Al-Quosh : nous arrivons dans ce petit village chrétien au milieu d’une immense plaine jaunie par le soleil, non loin des rives du Tigre. Parfait pour les amoureux de vieilles pierres, le monastère Sainte Marie d’Al-Quosh, à une courte distance de Mossoul, est l’un des grands centres spirituels chaldéens. Vigiles armés de kalachnikov autour de ce fort Alamo à la sauce moyen-orientale, cour intérieure, murs ocres et vieilles portes de garde en bois : ce monastère ressemble plus à une hacienda mexicaine du 19e siècle qu’à une abbaye occidentale.

Au dessus de nous, à 2 km, juché sur une barre rocheuse, fondé au 7e siècle après JC, le sanctuaire de Saint Hormizd veille sur la plaine de Ninive. C’est l’un des premiers lieux de présence chrétienne en Orient. Il a résisté à toutes les invasions, des Mongols aux Ottomans, en passant par les Arabes. Aujourd’hui les moines sont redescendus dans la plaine, y trouvant plus d’espace et de tranquillité.
Pour autant, le nouveau couvent reste cette forteresse de savoir et de foi, garante des traditions de l’Eglise orientale. C’est dans ce lieu hors du temps que nous vivons, l’espace de deux jours, une sorte de retraite reposante au milieu de notre voyage.

Silhouette allongée, cigarette au bec, lunettes carrées, portable vissé à l’oreille et humour ravageur, voici le Père Gabriel à la tête de cette abbaye de huit moines. Cet abbé hors du commun est un équilibre subtil entre l’amateur de belles antiquités – italiophone ayant vécu 10 ans à Rome, il nous dévoile quantité de pierres sculptées, icônes et vieilles armes – et le prieur d’un courage et d’une foi à toute épreuve. Tout le monde le connaît et l’apprécie dans la région, y compris les Yazidis, adeptes d’une religion mystérieuse, que nous sommes allés rencontrer un soir.

Sous sa houlette bienveillante, nous sommes donc allés rendre visite à plusieurs familles des alentours, le tout à une cadence rapide : le padre Gabriel est plutôt du genre pressé et ne s’attarde jamais longtemps au même endroit. Au bout d’une vingtaine de minutes d’entretien, nous avons en général le plaisir d’entendre un sonore et catégorique "andiamo" : c’est le signal pour nous de remonter à bord du pick-up du monastère pour aller à la découverte d’autres amis. Car il connaît tout le monde !

C’est avec lui également que nous découvrons une tradition bien ancrée chez ces prêtres aux nerfs solides, habitués à l’humour grinçant : les blagues ecclésiastiques. Il nourrit une affection particulière pour les évangéliques américains… A ceux d’entre eux qui tentent de rallier les chaldéens, héritiers d’une foi bimillénaire, à leurs Eglises, il conseille plutôt d’aller jouer les cow-boys en Amérique du sud ou d’annoncer le Christ aux musulmans… "Evangéliser un chaldéen, c’est comme apprendre à un Italien à peindre ou apprendre à un Français à jouer du piano...".

Qaraqosh, première ville chrétienne d'Irak


Hubert Montfort - LA VIE

Après une dizaines de jours passés au Kurdistan, à rencontrer les chrétiens et autres minorités religieuses persécutées, l'assocation "Fraternité en Irak" termine son périple à Qaraqosh, près de Mossoul. Une ville de 50 000 habitants, composé de 99% chrétiens.

"Ici nous sommes comme dans un grand four, la température monte, monte autour de nous jusqu’à ce que nous soyons tous brûlés", grommelle Boutros dans un français mal assuré. L’image est cruelle mais bien choisie par ce pizzaiolo du centre-ville de Qaraqosh, un bourg de 50 000 habitants dans la banlieue de Mossoul, composé de 99% de chrétiens. Quand on sait qu’il en reste aujourd’hui un peu moins de 500 000 dans tout l’Irak, on est saisi d’un vertige : cette ville où nous allons passer la fin de notre voyage concentre plus d’un dixième de tous les chrétiens du pays !

Mossoul, toute proche, deuxième ville de l’Irak, fief des extrémistes, est aussi la plus dangereuse : on entend souvent dire qu’un étranger y est repéré en moins de deux heures. Pour les minorités religieuses, la vie y est devenue impossible, il ne resterait plus que 2000 familles chrétiennes, les plus pauvres, celles qui n’ont nulle part où aller.

Il y a quelques jours dans le village de Komani, Georges, un chrétien d'une soixantaine d'années, nous racontait comment il s'était fait accueillir dans une une boulangerie de Mossoul : le boulanger a refusé de le servir, l’a traité de "mécréant" puis a pris un crucifix et s’est mis à cracher dessus. "Je lui ai cassé la figure, nous a dit Georges, ne pouvant supporter, et quelques jours plus tard j’ai quitté la ville". Des anecdotes comme celle-ci, avec leur violence, émaillent notre périple.

Mais pour l’heure nous quittons Boutros, ses pizzas et sa jeune clientèle pour aller boire le thé chez une famille non loin de là. Pas moins de 13 personnes habitent la maison : les grands-parents, leurs enfants et leurs petits-enfants. Fadi et Maryam, la soixantaine avancée, ont eu quatre filles et quatre garçons : trois sont médecins, deux autres ingénieurs, l’une est photographe ; deux des filles et deux des garçons vivent à l’étranger, aux Etats-Unis ou en Suède. Tous sont mariés et trois petits enfants sont déjà nés. Dans le salon on aperçoit des photos de famille : chaque enfant immortalisé lors de sa remise de diplôme, portant la toge et la toque comme dans les universités américaines.

Cette famille est en quelque sorte le stéréotype de l’empreinte chrétienne en Irak : une population très éduquée et une forte propension à l’émigration. Les chrétiens ont toujours été sur-représentés dans les professions intellectuelles : ainsi avant 2003, près de 30% des médecins en Irak étaient chrétiens alors qu’ils n’étaient que 5% de la population. D’après certains témoignages, il n’y aurait plus aucun médecin chrétien en exercice dans un hôpital public à Bagdad, par crainte du terrorisme.

Par chance, la famille chez qui nous sommes n’a pas vécu ce genre de drame. Ce n’est pas le cas d’une de leurs amies proches, qui est venue ce soir avec sa fille : son père a été décapité à Mossoul il y a trois ans. Devant cette douleur, nous ne pouvons pas grand chose, si ce n’est pleurer avec cette femme et la serrer dans nos bras. Nous essayons d’oublier cette tristesse en chantant dans ce salon presque trop étroit pour nous tous.

Après quelques prières en arabe, en araméen et en français, un père dominicain irakien entonne "Alouette je te plumerai", qui est aussitôt repris à l’unisson : voilà bien des années que nous n’avions pas entendu ce chant même en France ! La visite s’achève et en guise de remerciement une fillette de sept ans fredonne seule une belle chanson en syriaque : nous n’en comprendrons pas le sens si ce n’est quelques mots traduits par sa mère : "Jésus est dans le ciel, Jésus est mon sauveur".

"Une bombe a explosé à côté de mon bus"


Anne-Claire Tranchant - LA VIE

L'association Fraternité en Irak poursuit son voyage à la rencontre des chrétiens persécutés en Irak. Aujourd'hui ils s'arrêtent sur les épaves de sept bus, près de Mossoul. Tristes vestiges d'un attentat survenu le 2 mai 2010, qui a fait 2 morts et 180 blessés. Un jeune étudiant raconte.

Derrière un petit muret, des épaves de sept bus. Les vitres ont explosé, les intérieurs sont ravagés. Des traces de sang, noircies par le temps, sont encore visibles sur certains sièges. Des affaires d’étudiants traînent au sol. Ces bus transportaient quotidiennement, en convoi, 1050 étudiants entre Qaraqosh et l’université de Mossoul. Mgr Petros Moshe, évêque syriaque, nous présente à un jeune qui voyageait dans un de ces bus le dimanche 2 mai 2010. Nous écoutons, devant les débris, le récit de l’attentat dont lui et ses amis ont été victimes.

Après une tentative d’attentat sur le campus de Mossoul, le gouvernement avait attribué à ces bus une escorte de trois véhicules. Mais ce jour-là, elle s’est avérée inutile. Deux bombes ont explosé, ainsi qu’une voiture piégée. Sept bus ont été touchés. Les vitres ont volé, les carrosseries transpercées. D’un coup, l’enfer s’est déchaîné. Notre ami nous montre où il se trouvait, et où se trouvaient sa sœur et ses amis. Il a sorti sa sœur du bus. Tellement blessée qu’il l’a cru morte. Tellement défigurée que, par la suite, ses parents ne l’ont pas reconnue. Son visage renferme, aujourd’hui encore, un bout de verre qu’on n’a pu lui enlever, stigmate d’une violence insensée.

Les étudiants se sont extirpés des bus pour éviter une nouvelle explosion, ont coupé leurs vêtements pour des pansements d’urgence, et chacun a fait ce qu’il a pu pour venir en aide à ceux qui l’entouraient… Certains musulmans se sont arrêtés pour charger les blessés afin de les emmener à l’hôpital. Les secours ont beaucoup tardé. On nous parle, en diverses circonstances, de policiers qui se seraient réjouis ou auraient empêché des passants de prendre soin des blessés.

Notre ami nous raconte comment, par la suite, Farah dont la jambe a été coupée n’a pas pu obtenir de prothèse. Il nous explique que de nombreuses jeunes filles ont été défigurées et n’ont pas eu accès à une chirurgie esthétique. Abouna Nageeb, supérieur des Dominicains nous avait déjà parlé de cette jeune fille - parmi les plus jolies de la ville, nous dit notre ami - qui continue fièrement à aller à l’université de Mossoul malgré ses cicatrices. Elle a eu 156 points de suture au visage. Parce que la vie vaut d’être vécue, parce qu’elle veut réussir ses études envers et contre tout ! Le savoir et la pensée comme revanche contre la violence aveugle.

Malgré la puissance des explosions, cet attentat n’a fait que deux morts (mais 180 blessés) : Sandy, une étudiante, et Radyf, un jeune ouvrier qui passait par là, et qui a vu la première bombe. Il a arrêté la suite du convoi et perdu la vie dans l’explosion suivante : sa vie en a sauvé des dizaines.

Nous avons la gorge serrée devant ce jeune homme qui garde un sourire serein et un peu triste en nous racontant le déchaînement de souffrances auquel il a dû faire face. Malgré le choc, il nous explique qu’il continue à se rendre à Mossoul pour finir ses études. Avec pudeur il évoque les traumatismes psychologiques des blessés et de tous les autres présents ce jour-là.

Désormais, il n’y a plus de bus ; les étudiants prennent la voiture. Il nous dit qu’il prie tout le long du trajet. Lorsque nous lui demandons s’il est en colère, il reconnaît que oui. Mais il ne veut pas se laisser guider par la haine. « Regardez mon répertoire téléphonique : j’ai énormément d’amis musulmans ! »
Et de nous raconter que, lors de l’attentat, les musulmans d’un village voisin auraient vu la Vierge apparaître. Elle prenait les étudiants dans ses bras. Une seule en est tombée : Sandy. Ces gens ont tenu à venir voir l’évêque pour le lui raconter, et depuis, on parle du « jour de Marie » pour ce bloody sunday. On trouve, ici aussi, des artisans de paix.

Crainte d’une nouvelle vague d’exil


Mgr Louis Sako, archevêque de Kirkouk, refuse de baisser les bras après le nouvel attentat qui a frappé une église catholique syriaque, le 2 août, à Kirkouk. "Nous continuerons à témoigner pour Jésus-Christ et pour nos valeurs chrétiennes, nous n’avons pas peur", a-t-il déclaré.

Après l’attentat à la voiture piégée devant l’église de la Sainte Famille, à Kirkouk, à 250 km au nord de Bagdad, les autorités chrétiennes de la ville craignent une nouvelle vague d’exil, a rapporté l’ONG Portes Ouvertes, au service des chrétiens persécutés.

"Nous essayons de donner de l’espoir. Nous avons demandé au maire-gouverneur d’aider les familles qui ont perdu leur maison et leur voiture, avant de penser à restaurer l’église", a déclaré archevêque de Kirkouk.

Plus de la moitié des chrétiens en exil

L’attentat a eu lieu le deuxième jour du ramadan et a fait au moins 13 blessés. La police a aussi trouvé et désamorcé deux autres voitures contenant des explosifs devant l’Eglise assyrienne de Mar Gourgis et une église protestante située dans le voisinage.

La ville compte environ 10’000 chrétiens. Selon les estimations, plus de 50% de la communauté chrétienne d’Irak a fui le pays depuis 2003.

Source : APIC

Babylone


L'histoire de Babylone est traditionnellement divisée en trois phases. La période dite paléo-babylonienne couvre trois siècles, de 1894 à 1595 avant J.-C. ; elle fut dominée par la figure de Hammurabi. L'époque médio-babylonienne commença par plusieurs siècles de domination kassite et s'acheva avec les invasions araméennes. C'est enfin dans le courant du Xe siècle que débuta la troisième phase, dite néo-babylonienne. Elle vit d'abord une longue confrontation avec les Assyriens, avant de connaître son apogée sous Nabuchodonosor. En 539 avant J.-C., les Perses s'emparèrent de la Babylonie, qui perdit définitivement son indépendance politique. Dominique Charpin retrace pour nous son histoire, des origines à la domination perse.

Des origines modestes

Attestée dès l'époque d'Akkad (2340-2200 avant J.-C. environ), Babylone avait été le siège d'un gouvernorat sous l'empire néo-sumérien d'Ur. La disparition de celui-ci en 2004 avant J.-C. permit à des dynasties d'origine amorrite de s'emparer du pouvoir dans la plaine mésopotamienne. On ignore tout du sort de Babylone durant le XXe siècle, qui vit s'affronter les dynasties d'Isin et de Larsa. Aux alentours de 1900, toute une série de villes de Babylonie du nord devinrent à leur tour des centres de pouvoir autonomes. Babylone fut le siège d'une de ces dynasties : Sûmû-abum (1894-1881) s'y déclara roi, mais il n'eut, semble-t-il, pas de descendance et le pouvoir passa alors à Sûmû-la-El (1880-1845). C'est ce dernier qui fut considéré par les rois de Babylone postérieurs comme l'ancêtre de leur lignée. Sous son règne, tous les petits royaumes environnants furent progressivement absorbés par Babylone. Dès lors, les principales villes du royaume de Babylone, outre la capitale, furent Sippar au nord, Kish à l'est, Borsippa, Dilbat et Marad au sud. Sûmû-la-El conclut une alliance avec le roi d'Uruk Sîn-kâshid à qui il donna sa fille Shallurtum en mariage.

Son fils Sabium (1844-1831) affronta les troupes de Larsa, sur lesquelles il prétend avoir remporté une victoire. Apil-Sîn (1830-1813) repoussa les frontières du royaume de Babylone jusqu'au Tigre. Sîn-muballit (1812-1793) agrandit au contraire son territoire vers le sud ; il réussit même à conquérir les villes d'Isin et de Nippur, dont le roi de Larsa Rîm-Sîn reprit toutefois rapidement possession.

Un empire paléo-babylonien éphémère

Les règnes de Hammurabi (1792-1750) et de son fils Samsu-iluna (1749-1712) marquèrent l'apogée de la première dynastie de Babylone.

Le premier tiers du règne de Hammurabi, mal connu, est marqué par des exploits sans lendemains. En 1776 mourut Samsî-Addu : le vaste royaume que ce dernier avait créé en Haute Mésopotamie fut démembré, mais Babylone n'en profita pas immédiatement. Dans un premier temps, c'est en effet le roi d'Eshnunna, Ibâl-pî-El II, qui tenta de reconstituer à son profit le royaume de Haute Mésopotamie. Lorsqu'Ibâl-pî-El s'en prit au royaume de Mari, Hammurabi se rangea du côté de son roi, Zimrî-Lîm. Une paix de compromis fut conclue en 1770 ; Zimrî-Lîm récupéra la région du Suhûm. Un problème surgit alors avec Hammurabi concernant la délimitation de la frontière sur l'Euphrate entre les royaumes de Mari et de Babylone ; les négociations achoppèrent sur le statut de Hît. Cinq ans plus tard, l'empereur d'Elam attaqua Eshnunna : Hammurabi, tout comme Zimrî-Lîm, apporta son aide aux attaquants venus d'Iran. Mal leur en prit, car l'Élamite, sitôt Eshnunna conquise, exigea une soumission inconditionnelle. Hammurabi prit alors la tête d'une alliance anti-élamite qui finit par triompher : ce fut sa première grande victoire (an 29, soit 1764 avant J.-C.). Dès lors, les succès s'enchaînèrent. Ce fut d'abord l'annexion du royaume de Larsa (an 30, soit 1763 avant J.C.) qui augmenta considérablement sa puissance et sa richesse. Hammurabi étendit ensuite son influence sur la région du Djebel Sindjar. L'année suivante (an 31, soit 1762), Silli-Sîn d'Eshnunna ayant pris les armes contre Babylone, fut vaincu. Puis vint le tour de Mari, que Hammurabi épargna dans un premier temps (an 33, soit 1760) puis finit par détruire totalement après l'avoir vidée de ses richesses (an 34, soit 1758). Heureusement pour les historiens, les archives furent pour l'essentiel laissées sur place, ensevelies dans les ruines du palais. Hammurabi étendit ensuite sa domination vers le nord, dans les régions riveraines du Tigre. Les événements de la fin de son règne sont moins connus, la source essentielle que constituent les archives de Mari étant tarie. À sa mort, Hammurabi légua à son fils Samsu-iluna un véritable empire, qui ne devait lui survivre qu'une douzaine d'années.

Hammurabi ne fut pas seulement un conquérant. Ce fut aussi un habile diplomate, comme le montrent de nombreux comptes rendus des audiences qu'il tenait dans son palais de Babylone, rédigés par des ambassadeurs mariotes pour leur souverain Zimrî-Lîm. Ses talents d'administrateur sont visibles dans sa correspondance, quelques centaines de lettres, adressées en particulier à plusieurs responsables de l'ancien royaume de Larsa, comme Sîn-iddinam ou l'intendant du domaine royal, Shamash-hâzir. Ses grands travaux ne peuvent plus guère se juger que d'après ses inscriptions commémoratives et ses noms d'années, qui célèbrent également les ex-votos qu'il voua à de nombreuses divinités. Mais c'est bien entendu son activité législative qui a le plus contribué à perpétuer son nom, dans l'antiquité comme de nos jours ; son « Code de lois » se voulait d'ailleurs aussi un mémorial.

Samsu-iluna occupa le trône de Babylone trente-neuf ans, de 1749 à 1712 avant J.-C. Dès l'an 8 éclata une triple crise : économique, politique et militaire. La situation économique se dégrada si rapidement que le roi fut obligé, huit ans après sa première remise de dettes – mîsharum – d'en proclamer une seconde. On constate d'autre part la volonté d'indépendance des cités du sud, mal résignées à la domination babylonienne malgré l'habileté dont Hammurabi avait fait preuve. Le mieux connu des « vingt-six rois rebelles » que Samsu-iluna dut alors affronter, est le souverain de Larsa Rîm-Sîn II. Pour Samsu-iluna, la situation se compliqua encore davantage avec une invasion, celle des Kassites, sur lesquels il remporta une victoire. La reprise en main de la situation par Samsu-iluna, qui eut lieu dans le courant de sa dixième année, fut de courte durée. Dès la fin de l'an 11, la documentation écrite à Ur, Uruk et Larsa s'interrompt, et ce pour plusieurs siècles. On a pu repérer des indices archéologiques montrant que ces sites ont été abandonnés pendant une longue période. Que devinrent les habitants de ces villes ? Il semble qu'un exil massif vers le nord se produisit alors. On a en particulier de nombreuses traces de la présence d'habitants d'Uruk réfugiés à Kish, et de leurs descendants, à la fin de la première dynastie.

Une deuxième période dans le règne de Samsu-iluna s'ouvrit en l'an 12. Après avoir vaincu le roi d'Eshnunna et imposé son autorité dans la vallée de la Diyala, Samsu-iluna s'aventura en 1728 jusqu'au cœur du « triangle du Habur ». Il y mit fin au royaume d'Apum. La destruction de sa capitale, Shubat-Enlil/Shehnâ, est pour nous providentielle, car dans les décombres du palais de la ville basse de Tell Leilan, partiellement fouillé en 1985 et 1987, on a découvert une fraction des archives des rois locaux datant des décennies précédentes. Samsu-iluna tenta ensuite de rééquilibrer son royaume en direction du Moyen Euphrate. Il construisit une petite ville fortifiée à Harrâdum, qui a été découverte par une équipe française à Khirbet ed-Diniye ; il s'agissait d'un point fortifié avant sa campagne contre Terqa, qui eut lieu en l'an 27. Le fils du roi local fut installé sur le trône, sous tutelle babylonienne.

L'année 30 de Samsu-iluna fut marquée par une nouvelle amputation territoriale. Ce qui restait du sud sumérien fut perdu, dans des conditions encore obscures. Comme dix-huit ans plus tôt à Ur, Larsa ou Uruk, la documentation écrite s'interrompt à Isin et à Nippur pour plusieurs siècles. Les dernières années du règne sont très mal connues.

Samsu-iluna s'est donc révélé incapable de conserver tel quel l'empire créé par son père. En deux étapes, en l'an 12 puis en l'an 30 de son règne, le sud de la Babylonie échappa pour des siècles à la domination babylonienne.

La fin de la première dynastie de Babylone

Les quatre derniers rois de la première dynastie régnèrent pendant plus d'un siècle, généralement désigné comme période paléo-babylonienne tardive. Il ne semble pas y avoir eu de difficultés de succession, et les règnes de ces souverains ont été longs, ce qui est souvent considéré comme un gage de stabilité. Toutefois, les signes d'un déclin politique sont évidents. La raréfaction des inscriptions commémoratives n'est pas due au hasard des fouilles, étant donné l'abondance des sources d'archives pour la même période : plus de 1700 textes juridiques et administratifs publiés, sans compter des centaines de lettres. On ne peut manquer en outre d'être frappé par une inflexion dans la thématique des formules de « noms d'années » : la commémoration des événements militaires est réduite à la portion congrue, de sorte qu'il est impossible d'écrire une histoire politique un tant soit peu continue. La raréfaction des sources officielles ne doit cependant pas nous conduire à une vision misérabiliste de la première dynastie de Babylone sous ses quatre derniers souverains. Il apparaît que plusieurs tentatives de reconquête furent menées, dans trois directions principales : vers le sud, le long de la Diyala et enfin vers le Moyen Euphrate, où l'autorité d'Ammi-zaduqa et Samsu-ditana fut reconnue jusqu'à Terqa, comme l'ont montré les textes récemment découverts à Tell Ashara.

Même si le temps n'est plus où les invasions servaient systématiquement aux historiens à expliquer les changements dans l'histoire de la Mésopotamie, force est de constater que la fin de la première dynastie est étroitement liée à des mouvements de population, notamment des Kassites, des Hourrites et des Hittites. D'après une chronique babylonienne récente, sous Samsu-ditana, les armées hittites de Mursili envahirent la Babylonie en 1595.

La période médio-babylonienne

C'est ensuite une dynastie d'origine kassite qui prit le pouvoir pour plus de quatre siècles (1595-1155 avant J.-C.).

La Babylonie passa ensuite pour plus d'un siècle sous le contrôle de la deuxième dynastie d'Isin (1158-1027). Le plus brillant de ses souverains fut Nabuchodonosor Ier. Il remporta une victoire décisive sur l'Elam. Cela permit le retour à Babylone de la statue de son dieu principal, Marduk, qui avait été emportée en exil. C'est alors qu'aurait été rédigé le texte fameux de l'Enuma elish, improprement désigné sous le titre – moderne – de « Poème babylonien de la création », alors qu'il s'agit d'un hymne à la gloire de Marduk, dont les autres dieux acceptent de reconnaître la suprématie.

À partir du XIe siècle, la Babylonie fut la proie des invasions araméennes. Les sources écrites se tarissent pendant plusieurs siècles : on possède moins de deux cents documents pour la période qui va de 1158 à 722 avant J.-C. !

La confrontation avec les Assyriens

La Babylonie connut une sorte de « renaissance » sous le règne de Nabu-apla-iddina (888-855). Le pays fut débarrassé des bandes de nomades qui le pillaient. Les cultes furent rétablis dans les grands sanctuaires de Babylone, Borsipa, Sippar et Uruk. Enfin, une certaine renaissance littéraire et scientifique se produisit, dont témoigne par exemple le magnifique « Poème d'Erra » qui fut alors composé. Lorsque Marduk-zakir-shumi monta sur le trône en 854, il dut faire appel aux Assyriens pour venir à bout de son frère qui s'était révolté. Salmanazar III, après avoir vaincu le rebelle en 850, fit ses dévotions dans les temples de Kutha, Babylone et Borsipa, signe de son respect pour ces villes saintes. Il mena aussi une campagne contre les populations chaldéennes du sud, qui tenaient les routes commerciales : il revint en Assyrie chargé d'un lourd butin.

L'affaiblissement du pouvoir royal en Assyrie de 823 à 745, donna un peu de répit aux Babyloniens. Mais la transformation de l'Assyrie en empire, opérée par Tiglat-Phalasar III (744-727), ne pouvait pas rester sans conséquence pour eux. Après diverses interventions militaires, Tiglat-Phalasar monta sur le trône de Babylone en 729. La solution de la double-royauté qu'il choisit offrait l'avantage de ménager les susceptibilités locales, contrairement à une réduction au statut de province.

À la mort de Tiglat-phalasar, le trône babylonien revint au chaldéen Merodach-baladan ; ainsi s'ouvrit une période de trois décennies où Chaldéens et Assyriens se battirent pour le contrôle du trône de Babylone. Les Chaldéens avaient l'avantage de disposer de bases arrières où se replier en cas d'infériorité : les marais, ou le territoire élamite, dont l'aide pouvait être assurée grâce aux richesses dont les Chaldéens disposaient. Mais les habitants de la plupart des villes leur étaient hostiles et le roi d'Assyrie Sargon II (721-705) sut habilement jouer de ces oppositions. Mérodach-baladan, retranché dans sa capitale de Dûr-Yakin, fut vaincu en 707. Plus de cent mille Araméens et Chaldéens furent déportés vers Harrân, la Cilicie, Samarie... tandis que l'on installait sur place des gens venus de Comagène. Pendant cinq ans, la Babylonie fut le chantier d'une intense activité de reconstruction et remise en valeur agricole.

La Babylonie fut le souci principal de l'empereur assyrien Sennacherib (704-689). Plusieurs solutions furent successivement tentées, sans qu'aucune n'aboutisse à un résultat satisfaisant. Lorsque Sennacherib installa son fils héritier sur le trône babylonien, en 699, il crut avoir enfin la paix. Mais les Babyloniens, six ans plus tard, livrèrent Assur-nadin-shumi aux Elamites. Sennacherib se lança alors dans un combat sans merci contre ces derniers. En outre, Sennacherib voulut châtier les habitants de Babylone : après un siège de quinze mois, la ville tomba au début de l'hiver 689. Elle fut l'objet d'une destruction brutale et systématique, qui eut des conséquences dramatiques pendant des années.

La Babylonie connut sous Asarhaddon un tournant. À des années d'invasions assyriennes et d'instabilité – pas moins de dix rois en trente ans ! – succéda le calme. Babylone fut restaurée et une nouvelle ère de prospérité commença. Asarhaddon mourut à Harran en 669 d'une nouvelle rechute de sa maladie. Sa succession avait en effet été soigneusement réglée dès 672 : un engagement de fidélité – adû – fut exigé de toute la population, qui ratifiait le choix d'Assurbanipal comme héritier sur le trône d'Assyrie, et de son frère jumeau Shamash-shum-ukîn sur celui de Babylonie.

En 652 éclatait en Babylonie la révolte de Shamash-shum-ukîn, qui dura jusqu'en 648. L'Assyrie dut fournir un effort militaire tel qu'elle s'y épuisa. La guerre s'acheva par la chute de Babylone après un siège de plus de deux ans. Un certain Kandalanu fut installé sur le trône par Assurbanipal, qui châtia les Élamites et les Arabes qui avaient aidé son frère. On confisqua à des lettrés babyloniens de nombreuses tablettes pour les faire entrer dans la fameuse bibliothèque de Ninive.

Au sud, les Chaldéens, dirigés depuis 625 par Nabopolassar, ne cessaient d'étendre leur emprise sur la Babylonie : Babylone elle-même passa sous leur contrôle en 616. Pour finir, Babyloniens et Mèdes coalisés réussirent à faire s'effondrer le colosse assyrien en 612.

La dynastie néo-babylonienne

L'empire néo-babylonien, qui tient dans notre mémoire collective occidentale une place non négligeable, dura en fait moins d'un siècle (612-539), dont plus de la moitié occupée par un seul règne. Nabuchodonosor II, qui succéda en 605 avant J.-C. à Nabopolassar, régna en effet quarante-trois ans, soit la même durée que son lointain prédécesseur Hammurabi ! Nabuchodonosor mena une politique de grands travaux spectaculaire, en particulier dans sa capitale, Babylone, dont les restes toujours visibles, sont impressionnants : la fameuse voie processionnelle avec la porte d'Ishtar en est une illustration parmi d'autres. Son « image de marque » est assurément plus réussie que celle des Assyriens, au moins à nos yeux. Il ne laissa pas d'inscriptions vantant ses carnages. Les inscriptions commémoratives néo-babyloniennes célèbrent essentiellement la restauration des temples. Les rois y apparaissent parfois comme des archéologues, déblayant les ruines des bâtiments pour en retrouver le plan et les reconstruire à l'identique. Les fouilles, comme celles d'une équipe française à Larsa dans les années quatre-vingt, ont confirmé l'exactitude de leurs descriptions. Mais, non contents de restaurer les constructions, les souverains néo-babyloniens firent aussi revivre des institutions tombées en désuétude. C'est ainsi que Nabonide, renouant avec une tradition qui remontait à Sargon d'Akkad, installa sa fille comme grande-prêtresse du dieu Sîn à Ur. Nous sommes en outre très bien documentés sur la structure administrative et économique des temples à cette époque, en particulier à Uruk, où des milliers de tablettes permettent une reconstitution très précise de la gestion du sanctuaire de l'Eanna. L'exploitation de ses immenses palmeraies, par le biais de fermes générales, est particulièrement bien connue. C'est à cette époque que le système des prébendes, qui existait depuis longtemps, est le mieux documenté. Il permettait d'associer la bourgeoisie urbaine à l'exploitation économique des temples, en rétribuant avec des parts d'offrande des tâches artisanales à effectuer au service du sanctuaire, telles que brasseur, boucher...

Faute de récits similaires aux annales des rois néo-assyriens, les chroniques nous documentent sur les événements politico-militaires de cette époque. Leurs renseignements sont parfois complétés par des sources non-babyloniennes. C'est ainsi que la prise de Jérusalem en 597 et les déportations ultérieures de 587 et 582 ont pris dans l'historiographie une place que les sources purement babyloniennes n'auraient pu leur donner.

Le dernier souverain néo-babylonien, Nabonide, est une figure étrange et qui a donné lieu à des controverses. Il tenta d'imposer le culte du dieu lune, Sîn, au détriment de celui de Marduk, ce que le clergé de sa capitale ne lui pardonna pas. Il passa une dizaine d'années dans l'oasis arabe de Teima, le pouvoir étant alors exercé par son fils, Balthasar. Son règne de vingt-trois ans s'acheva par la chute de Babylone aux mains du perse Cyrus. Ainsi prit fin l'indépendance politique de la Babylonie, qui passa sous la domination perse achéménide pour deux siècles, puis sous celle d'Alexandre et de ses successeurs.

Dominique Charpin
Directeur d'études à l'EPHE, Sorbonne (section des Sciences historiques et philologiques)

Les Assyriens, hommes d'État et conquérants


Dans l'Antiquité, le territoire actuel de l'Irak était divisé en deux grandes régions : le centre et le sud constituaient la Babylonie, tandis que le nord formait l'Assyrie, dont les principales villes étaient Assur, Ninive – sur le Tigre, en face de Mossoul – et Arbèles – l'actuelle Erbil. Le terme « assyrien » désigne également la langue parlée dans cette région aux deuxième et premier millénaires avant notre ère, soit une des subdivisions de l'akkadien, qui forme le rameau oriental de la grande famille des langues sémitiques… Dominique Charpin nous fait découvrir un peuple qui, dès l'aube du second millénaire, et jusqu'au VIIe siècle av. J.-C., réussit à jouer un rôle prépondérant en Orient et développer une brillante culture.

De nombreux écrits en assyrien nous ont été conservés sur des milliers de tablettes d'argile, qui constituaient le principal support de l'écriture cunéiforme héritée des Sumériens. L'histoire des Assyriens est traditionnellement divisée en trois phases, dites respectivement paléo-assyrienne (première moitié du deuxième millénaire), médio-assyrienne (deuxième moitié du deuxième millénaire) et néo-assyrienne (première moitié du premier millénaire).

L'époque paléo-assyrienne

L'histoire de l'Assyrie commence au début du deuxième millénaire par celle de la cité-État d'Assur, caractérisée à la fois par son importance religieuse et par ses activités commerciales. Si ses comptoirs étaient installés jusqu'au cœur de l'Anatolie, le plus important étant à Kanesh – près de l'actuelle Kayseri –, elle ne dominait pas un territoire étendu : ses marchands, jouissant d'une sorte de sauf-conduit, traversaient des territoires avec lesquels des accords avaient été conclus, mais qui n'étaient nullement dominés politiquement par les Assyriens. Ceux-ci exportaient de l'étain et des étoffes de luxe vers l'Anatolie, d'où ils faisaient venir l'argent résultant de la vente de ces produits : vu le déséquilibre pondéral de ce commerce, les caravanes d'ânes fonctionnaient à sens unique, d'Assur vers l'Anatolie.

Assur perdit son indépendance en 1805 lorsqu'elle fut intégrée par le roi d'Ekallâtum Samsî-Addu dans un royaume, qui couvrit bientôt toute la haute Mésopotamie, depuis les rives du Tigre jusque sur l'Euphrate (Mari). Pour la première fois, la culture assyrienne se trouva confrontée à sa voisine du sud, et l'on peut alors parler d'une première « babylonisation » de l'Assyrie. Faute de sources, l'histoire d'Assur nous devient obscure à partir du milieu du XVIIIe siècle pendant environ trois siècles.

L'époque médio-assyrienne

Assur se transforma à cette époque en un véritable État territorial et émergea sur la scène internationale avec Assur-uballit Ier (1366-1330). Celui-ci, paré des titres de « grand roi » et « roi de la totalité », tenta de se faire reconnaître comme un pair par le pharaon égyptien et le roi hittite. Sous Salmanasar Ier (1274-1245), la haute Mésopotamie passa toute entière sous le contrôle des Assyriens.

L'un des plus hauts personnages de l'Assyrie de cette époque nous est bien connu : les tranchées pratiquées par les fouilleurs allemands dans la ville basse d'Assur avant la première guerre mondiale ont en effet rencontré la maison du chancelier Babu-aha-iddina, dont la très riche tombe a été retrouvée intacte – elle est aujourd'hui reconstituée au musée de Berlin. Plus récemment, on a découvert à Tell Schekh Hamad (Syrie) le palais du gouverneur local, qui a livré plusieurs centaines de tablettes, réparties sur une cinquantaine d'années sous les règnes de Salmanasar Ier et de son successeur. Il s'agit avant tout de documents administratifs, qui permettent de voir comment était gérée la vallée inférieure du Habur lors de la première expansion assyrienne.

Celle-ci culmina avec Tukulti-Ninurta Ier (1244-1208). Attaqué en 1235 par le roi cassite Kashtiliash IV, le roi assyrien réussit à s'en emparer et châtia durement Babylone. Parmi les Babyloniens déportés en Assyrie, on remarque la présence de scribes ; cette période marque une nouvelle étape dans la « babylonisation » de la culture assyrienne. La victoire de Tukulti-Ninurta fut célébrée dans une grandiose épopée. Le souverain décida la construction d'une nouvelle capitale, Kâr-Tukulti-Ninurta, située sur le Tigre en face d'Assur ; des déportés furent employés à cette tâche. Les innovations de Tukulti-Ninurta déplurent à certains, puisqu'il périt assassiné.

La civilisation assyrienne de cette période est connue par des écrits très importants, comme le recueil des Lois assyriennes, conservé sur plusieurs tablettes ; l'une d'elles est en particulier consacrée au statut des femmes et de leurs biens. On possède également une compilation de décrets royaux qui nous donne une idée très précise de la vie à la cour et dans le harem royal. Le rituel du couronnement qui nous est parvenu définit le dieu « national » Assur comme le véritable roi, le souverain étant chargé sur terre d'étendre son domaine.

Les invasions araméennes

Dans le courant du XIIe siècle, d'importants mouvements de population entraînèrent de profondes transformations dans l'ensemble du Proche-Orient : les invasions araméennes affectèrent profondément l'Assyrie. Le roi assyrien Tiglat-phalasar Ier (1115-1077) déclare dans ses inscriptions : « Vingt-huit fois à la poursuite des Araméens j'ai traversé l'Euphrate ». Mais il ne réussit pas à endiguer le flot : les Araméens poussèrent leurs incursions jusque sous les murs de Ninive. Des bandes de nomades saccagèrent également les principaux sanctuaires de Babylonie, qui s'enfonça à la fin du XIe siècle dans le chaos. Les Araméens se tournèrent dans un second temps contre la Syrie du Nord : vers 950, Til Barsip devint la capitale de l'État araméen du Bît Adini.

Les sources historiographiques disponibles pour l'histoire de l'Assyrie au premier millénaire sont avant tout les annales royales. Rédigées à la première personne, elles avaient pour but de commémorer les hauts faits du souverain : on ne doit donc pas y chercher une représentation objective de la réalité. Leur rhétorique, pourvu qu'on l'analyse soigneusement, est cependant très significative ; certains passages sont de véritables chefs-d'œuvre de littérature.

La « reconquête » assyrienne (911-823)

La reconquête assyrienne se fit d'abord par petites étapes à la fin du Xe siècle. Il ne s'agissait au départ pas tant de reconquérir des territoires perdus que d'installer un réseau permettant de contrôler des voies de communication vitales et d'y faire circuler des biens en toute sécurité. En 883 monta sur le trône Assurnazirpal II, personnalité hors du commun dont le règne fut décisif pour l'avenir de l'Assyrie. Chaque année, il mena ses armées en campagne, réprimant les rebellions avec une férocité impitoyable et fondant de nouveaux centres assyriens, renforçant ainsi le réseau préexistant. Cette cruauté, sans doute explicable par le traumatisme qu'avaient causé les invasions araméennes, devint peu à peu un véritable mode de gouvernement chez les souverains assyriens : leur réputation était telle qu'à leur seule approche, beaucoup préféraient se soumettre, quitte à tenter plus tard de s'émanciper à nouveau. Assurnazirpal réussit l'exploit d'atteindre la Méditerranée, rançonnant au passage les cités phéniciennes. Ces campagnes permirent, par le pillage et la déportation, d'accroître soudain le potentiel économique de l'Assyrie ; le paiement d'un tribut annuel par les principautés vaincues assurait en outre des rentrées régulières. La puissance recouvrée se matérialisa dans la construction par Assurnazirpal d'une nouvelle capitale à Kalhu (site actuel de Nimrud). À partir de 879, une muraille longue de plus de sept kilomètres fut édifiée, qui enfermait une superficie de trois cent soixante hectares : on a calculé que ce seul édifice représentait le travail de sept mille hommes pendant trois ans. Mais Assurnazirpal construisit aussi, dans la citadelle de vingt hectares qui dominait le site, un palais grandiose décoré d'orthostates, ainsi que divers temples et une tour à étage (ziggurat). Sa mort en 859 n'interrompit nullement les travaux, qui furent achevés par son fils et successeur Salmanazar III (858-824).

Salmanazar dirigea ses efforts militaires essentiellement vers l'Occident : Syrie du nord, Anatolie méridionale et Cilicie. Les États locaux étaient alors, pour la plupart, gouvernés par des dynastes néo-hittites ou araméens ; riches, mais militairement peu puissants, ils ne purent s'opposer à la formidable machine de guerre assyrienne. En 856, après plusieurs campagnes, le Bît Adini fut vaincu et transformé en province : l'Assyrie contrôlait désormais jusqu'à la boucle de l'Euphrate. Les campagnes allèrent cependant au-delà, mais sans entraîner d'annexions. La confrontation avec les États de Syrie et Palestine culmina à la bataille de Qarqar sur l'Oronte (853). Salmanazar s'intéressa aussi à la Babylonie. Lorsque Marduk-zakir-shumi monta sur le trône en 854, il dut faire appel aux Assyriens pour venir à bout de son frère qui s'était révolté. Salmanazar, après avoir vaincu le rebelle en 850, fit ses dévotions dans les temples de Kutha, Babylone et Borsipa, signe de son respect pour ces villes saintes. Il mena aussi une campagne contre les populations chaldéennes du Sud, qui tenaient les routes commerciales, et revint en Assyrie chargé d'un lourd butin.

La crise (823-745)

À ces deux longs règnes d'une puissance considérable succéda une période plus troublée. Shamshi-Adad V dut obtenir le soutien du Babylonien Marduk-zakir-shumi pour monter sur le trône. Sous son successeur Adad-nirari III (810-783), l'Assyrie s'enfonça encore davantage dans l'obscurité. Le manque de sources en témoigne mais rend en même temps difficile une appréciation exacte de la situation. Le déclin de l'autorité royale est évident mais cela ne signifie pas forcément une réelle dépression dont aurait pâti l'ensemble du royaume. Les gouverneurs ne reconnaissaient le souverain que nominalement, agissant dans leur province comme de véritables monarques. Pour s'attacher leur fidélité, le roi fut contraint à des concessions de terre qui l'affaiblissaient d'autant. Sa mère, Sammuramat, occupa une place jusqu'alors inusitée – situation exceptionnelle qui donnera naissance à la légende grecque de Semiramis. De 782 à 745, trois rois se succédèrent sur le trône, sans réelle autorité. Un nouveau venu sur la scène internationale exerça alors une menace directe sur les frontières septentrionales de l'Assyrie : l'Ourartou – dont le mont Ararat, point culminant de l'Arménie, a conservé le nom. Enfin, des rébellions éclatèrent sporadiquement dans la plupart des grandes villes du royaume, sans parler de deux épidémies de peste en 765 et 759.

L'Empire néo-assyrien (744-612)

On peut dire que l'Empire néo-assyrien fut véritablement fondé par Tiglat-phalasar III. C'est seulement à partir de ce moment qu'on peut parler d'un empire et, cette fois, les territoires incorporés furent immenses : dans sa plus grande étendue, il contrôla de Suse en Iran jusqu'à Thèbes en Égypte.

Le règne de Tiglat-phalasar III (744-727) fut marqué par une brillante politique de conquête, contrastant avec les décennies précédentes : victoire sur l'Ourartou en 743, soumission des royaumes syriens achevée avec la chute de Damas en 732. Mais il ne s'agit plus simplement de raids contraignant le vaincu à verser un tribut : les régions soumises furent transformées en provinces assyriennes. La guerre devint une guerre de conquête. L'un des corollaires de cette transformation fut la politique de déportation : on déplaça les habitants des nouvelles provinces où l'on implanta des populations venues d'ailleurs. Il ne s'agit pas d'une nouveauté mais ce qui transforma radicalement la situation, c'est l'échelle à laquelle ces déportations furent désormais pratiquées : dès 743, 80 000 personnes étaient ainsi déplacées. Tiglat-phalasar mena une véritable politique méditerranéenne : la plupart des cités phéniciennes – Tyr exceptée – furent englobées dans une nouvelle province. Il leur devint interdit de commercer avec l'Égypte. Au sud, après diverses interventions militaires, Tiglat-phalasar monta sur le trône de Babylonie en 729. La solution de la double royauté qu'il choisit offrait l'avantage de ménager les susceptibilités locales, contrairement à une réduction au statut de province.

Salmanasar V succéda à son père Tiglat-phalasar III en 726, mais ne régna que cinq ans. Il est surtout connu pour avoir mis le siège pendant deux ans à Samarie. La capitale du royaume d'Israël tomba en 721, alors que Sargon venait de monter sur le trône. Une des grandes affaires du règne de celui-ci (721-705) fut la lutte contre l'Ourartou. Elle culmina par la fameuse « huitième campagne » en 714, dont on possède le récit détaillé sous la forme une lettre adressée par le roi au dieu Assur, conservée au Louvre ; le roi y légitime son pillage des lieux saints de l'Ourartou. En Babylonie, le Chaldéen Merodach-baladan s'empara du trône laissé vacant à la mort de Tiglat-phalasar ; ainsi s'ouvrait une période de trois décennies où Chaldh-baladan, retranché dans sa capitale de Dûr-Yakin, fut vaincu en 707. Plus de cent mille Araméens et Chaldéens furent déportés vers Harrân, la Cilicie, Samarie… tandis que l'on installait sur place des gens venus de Commagène. Pendant cinq ans, la Babylonie fut le chantier d'une intense activité de reconstruction et remise en valeur agricole. C'est du règne de Sargon que datent les nombreux documents administratifs découverts dans l'arsenal de Nimrud (« Fort Salmanazar »), qui permettent de reconstituer assez précisément l'organisation de l'armée, et en particulier sa cavalerie et sa charrerie, instruments décisifs de la domination militaire assyrienne. Des fouilles irakiennes récentes ont également retrouvé la tombe d'une épouse de Sargon dans un caveau sous une pièce du palais de Kalhu ; elle était très richement dotée de bijoux et objets précieux. Sargon décida d'abandonner Kalhu (Nimrud) et de construire une nouvelle capitale à Khorsabad, à laquelle il donna son nom, Dûr-Sharrukin ; de nombreux éléments ont été transportés au XIXe siècle au Louvre, où ils ont été récemment remis en valeur lors du réaménagement de l'aile Richelieu. Les travaux de Khorsabad n'étaient pas achevés lorsque Sargon mourut en combattant dans le Taurus.

Sennacherib, fils et successeur de Sargon, régna un quart de siècle sur l'Assyrie, de 704 à 681. Il choisit de faire de l'antique et prestigieuse Ninive sa capitale, où il érigea entre 703 et 694 un immense palais, baptisé « palais sans rival ». La construction de ce monument est particulièrement bien documentée, à la fois par les inscriptions commémoratives et par les bas-reliefs qui décoraient ses murs, et dont un certain nombre représente les travaux qui le firent naître – transport des statues gigantesques de taureaux ailés… D'autres, fort célèbres, montrent le siège de la ville palestinienne de Lakish, en 701 ; une partie de ces bas-reliefs fut transportée au British Museum au XIXe siècle. La Babylonie fut le souci principal de Sennacherib ; le conflit s'acheva par la destruction brutale et systématique de Babylone en 689. Le roi avait choisi pour lui succéder son cadet Asarhaddon, ce qui lui valut de finir assassiné à l'instigation de son fils aîné ; mais après six semaines de guerre civile, Asarhaddon réussit à faire valoir ses droits au trône.

Ce dernier ne régna que douze ans (680-669), et sa mauvaise santé explique une partie des caractéristiques de son règne. Une maladie inflammatoire chronique l'obligeait à de longues périodes de réclusion et retentit sur son tempérament. Nous possédons des centaines de lettres émanant d'astrologues, exorcistes, incantateurs… qui tentaient de rassurer le roi sur son sort ou d'écarter les menaces annoncées par des présages. Ainsi pouvons-nous pénétrer dans les milieux de la cour et reconstituer certains aspects de la vie dans le palais, avec son lot de dénonciations et d'intrigues. La Babylonie connut alors un tournant : à des années d'invasions assyriennes et d'instabilité succéda le calme. Babylone fut restaurée et une nouvelle ère de prospérité commença. La grande affaire fut la conquête de l'Égypte, à partir de 679 et surtout 673, les Assyriens se posant en « libérateurs » des Égyptiens face à la XXVe dynastie d'origine nubienne. Asarhaddon mourut à Harran en 669. Sa succession avait été soigneusement réglée trois ans plus tôt : un engagement de fidélité (adû) avait été exigé de toute la population, qui ratifiait le choix d'Assurbanipal comme héritier sur le trône d'Assyrie, et de son frère jumeau Shamash-shum-ukîn sur celui de Babylonie.

Le règne d'Assurbanipal (668-629) est de loin le plus long de toute l'histoire néo-assyrienne. De 669 à 653, l'Égypte occupa une bonne part des forces assyriennes. Memphis fut reprise, puis Thèbes pillée en 664. Assurbanipal étala ses victoires dans ses annales, bien qu'il ne soit pas certain qu'il soit jamais allé en Égypte. Alors que les relations entre l'Assyrie et l'Elam étaient demeurées bonnes de 690 à 665, un brusque retournement eut lieu en 664. La plus célèbre des péripéties de cette guerre féroce est immortalisée dans le fameux « banquet sous la treille » : Assurbanipal et son épouse sont installés dans un jardin, tandis qu'à la branche d'un arbre est attachée la tête du roi élamite Te'umman, décapité. Psammétique profita de cette guerre élamite pour se révolter en 653 et expulser les Assyriens d'Égypte. L'année d'après éclatait en Babylonie la révolte de Shamash-shum-ukîn, qui devait durer jusqu'en 648. L'Assyrie dut fournir un effort militaire tel qu'elle s'y épuisa. La guerre s'acheva par la chute de Babylone après un siège de plus de deux ans. Un certain Kandalanu fut installé sur le trône par Assurbanipal, qui châtia les Elamites et les Arabes coupables d'avoir aidé son frère. On confisqua à des lettrés babyloniens de nombreuses tablettes qui constituèrent une partie du fonds de la fameuse bibliothèque de Ninive créée par Assurbanipal. La fin de son règne, faute d'inscription postérieure à 639, est très mal connue.

Un problème historique considérable est posé par l'écroulement très rapide d'un colosse tel que l'Empire assyrien. La succession quasi ininterrompue de guerres, à la fois civiles et étrangères, à partir de 627, explique en partie cette situation : l'intervention des Chaldéens et des Mèdes contre Ninive en 612 ne fit qu'achever un mourant. La joie que la chute de Ninive provoqua chez les peuples assujettis par les Assyriens est exprimée par le prophète Nahum, qui invectiva l'Assyrie vaincue en ces termes : « Irréparable, ton désastre, incurables, tes blessures ! Quiconque apprend de tes nouvelles applaudit à ton mal. Eh oui ! Sur qui ta cruauté n'a-t-elle pas passé et repassé ? »

Dominique Charpin
Directeur d'études à l'EPHE, Sorbonne (section des Sciences historiques et philologiques)

De Babylone à Pékin, l'expansion de l'Église nestorienne en Chine


« Ces moines qui passent les mers jusqu'aux Indes et en Chine n'ayant pour tout bagage qu'un bâton et leur besace. […] Voici en effet que de nos jours […] le roi des Turcs, avec presque tout son peuple, rejeta ses anciens errements athées et se convertit au christianisme, grâce à l'action de la grande vertu du Christ, auquel tout est soumis ; il nous demanda par lettre de préposer un métropolite à tout le territoire de son royaume, ce que nous avons accompli avec le secours de Dieu […]. Voici en effet, que dans toute la région de Babylone, de Perse et d'Ator [Assyrie], dans toutes les régions d'Orient, chez les Hindous et les Chinois, les Tibétains et les Turcs, et dans tous les territoires soumis à ce trône patriarcal […] ce trisagion se récite sans l'addition de ces paroles « qui fut crucifié pour nous ». […] Ces jours-ci, l'Esprit consacra un métropolite pour les Turcs ; nous en préparons un autre pour les Tibétains. »

Mar Timothée Ier, patriarche de l'Église d'Orient (728-823)

Des recherches et des excavations, menées à partir de 1998 par Martin Palmer, un Britannique, autour d'une pagode à Da Qin, près de Xi'an, au centre-est de la Chine, révèlèrent un christianisme sinisé au VIIIe siècle. Dans les grottes de Dun-huang, ce sont des « Sutras de Jésus » datant d'avant le XIe siècle qui ont été retrouvés. Joseph Yacoub, auteur de Babylone chrétienne. Géopolitique de l'Église de Mésopotamie (1996), nous présente ici une page prospère mais méconnue du christianisme qui fut introduit en Chine par les missionnaires de l'Église d'Orient de Mésopotamie, dite nestorienne, au VIe siècle.

Élan missionnaire et ardeur prosélyte

Issue d'Assyrie et de Babylone, l'Église d'Orient a connu un élan missionnaire extraordinaire et une admirable expansion en Asie. Partie de l'actuelle Bagdad, elle avait élargi son audience, entre le IIIe et le XIIIe siècle, de la Méditerranée au Pacifique. Au temps du patriarche Mar Aba Ier (540-552) le mouvement d'expansion s'intensifia et s'étendit sur toute l'Asie. Elle était activement présente au Proche-Orient et au Moyen-Orient, en Asie centrale et en Extrême-Orient, non seulement à l'ouest de la Mésopotamie jusqu'aux rivages de la Méditerranée, en Arménie, en Palestine, à Chypre, mais encore au sud, jusqu'au Malabar, aux îles de Bornéo, à Sumatra, à Java, aux Moluques, à la Malaisie et à l'est, jusqu'au sud-est de la Sibérie et au cœur de l'Empire chinois.

En fait, la première présence des nestoriens en Chine est attestée dès avant la dynastie T'ang, en 520. Dans leur ardeur prosélyte, les missionnaires de l'Église d'Orient suivaient les voies tracées par le commerce et les itinéraires des caravanes, principalement de celles qui transportaient la soie et les épices. Au VIIIe siècle, le prince ouïgour de Kashgar, au nord-ouest de la Chine, était un chrétien nestorien, nommé Sergianos, ainsi que le prince mongol Sartag. Quant au grand khan Môngke, empereur mongol de Chine (1251-1259), il avait été élevé par une mère nestorienne et son chancelier, le Kéréïte Bolghaï, était également nestorien. Par leurs édits, les empereurs mongols Ogôdaï (1229-1241), Gûyûk (1246-1248), Môngke (1251-1259) et Koubilaï Khan (1260-1294), ont octroyé des privilèges divers aux nestoriens. Selon le missionnaire Jean de Plan Carpin et le savant syriaque Bar Hebraeus, l'empereur Güyük était chrétien.

Le Tibet – en araméen Beth Tûptayé –, a compté au VIIIe siècle un métropolite, avec plusieurs évêques sous son autorité. En effet, dès la seconde moitié du VIIe siècle, les tribus tibétaines étaient touchées par l'apostolat des missionnaires de l'Église d'Orient. Le patriarche Timothée Ier (728-823) fait mention des chrétiens du Tibet dans une lettre écrite aux moines du couvent de Mar Maroun, en 782. Dans celle envoyée à son ami Serge, métropolite d'Élam, il écrit en 794 : « Ces jours-ci, l'Esprit consacra un métropolite pour les Turcs ; nous en préparons un autre pour les Tibétains ».

En Mandchourie, l'existence du nestorianisme est confirmée du Xe au XIIIe siècle. Sur cette Mandchourie et en Mongolie orientale régnait au XIIIe siècle le prince chrétien Nayan dont l'armée était composée presque uniquement de chrétiens et qui avait mis la croix sur ses étendards. Révolté contre l'empereur Kubilaï Khan, il fut écrasé et trouva la mort en 1287. Au XIIIe siècle, les éparchies – les circonscriptions ecclésiastiques et les sièges métropolitains – de Karakorum, l'ancienne capitale de l'Empire mongol, de Khan Baliq, l'actuel Pékin, et d'Almaligh, dans la haute vallée du fleuve Ili, étaient remarquées pour leur étendue compacte et leur immensité. Des inscriptions de tombes nestoriennes ont été retrouvées dans la grande cité commerciale d'Almaligh. Dans la seconde moitié du XIe siècle, on retrouve des chrétiens à Canton. Sous les Mongols, les nestoriens étaient nombreux et influents dans la cité impériale Khan Baliq. Sous la dynastie mongole des Yuan (1260-1367), le clergé chrétien était exempt d'impôts et bénéficiait des distributions de grains faites par ordre de l'empereur. En 1289, Kubilaï Khan, dont la mère Baigi était nestorienne, a institué le Tch'ong-fou-sseu, un bureau chargé de l'administration du culte chrétien dans tout l'empire.

Adaptation et acculturation

Là où elle s'implantait, l'Église d'Orient prenait en considération la culture des peuples, « s'indigénisait » et s'acculturait en conséquence dans des perspectives autres que les siennes. Mar Timothée Ier nous révèle que le Trisagion se récitait parmi les peuples asiatiques sans l'addition des paroles « qui fut crucifié pour nous », pour ne pas heurter les croyances des hindous, des bouddhistes et des taoïstes. Cette Église avait une forte capacité d'adaptation aux milieux, cultures, civilisations et habitudes indigènes. Son clergé était en grande partie autochtone et, si les missionnaires conservaient l'araméen comme langue sacrée liturgique, ils admettaient les lectures et les hymnes dans la langue du pays. Il existait des lectionnaires, des chants et des psautiers dans des langues d'affinités différentes, comme le hunnique, le persan, le ouïgour, le turc, le mongol, le chinois et le sogdien. Lors de son périple asiatique, Guillaume de Rubrouck raconte dans son Itinerarium que les nestoriens en Asie centrale disent leur office et ont leurs livres sacrés en araméen, mais qu'ils ne comprennent pas cette langue. En tous cas, les peuples asiatiques ne la percevaient pas comme une excroissance de leur corps national. En atteste la stèle de Si-ngan-fou, dont l'exposé doctrinal use d'expressions bouddhistes et taoïstes, susceptibles de rendre le christianisme compréhensible aux adeptes de ces religions. Adam, auteur de la stèle de Xi'an, collabora à la traduction chinoise d'un sutra bouddhique sogdien sur les Six Perfections. Le patriarche Yahbalaha III (1283-1317) de l'Église d'Orient était lui-même ongüt, né près de Pékin. D'abord métropolite pour les diocèses de Cathay et d'Ong, c'est-à-dire pour la Chine du Nord et le pays des Ongüt (1280-1283), il fut choisi comme patriarche par l'Église d'Orient dans l'intention de s'assurer la bienveillance des Mongols. Il gouverna l'Église pendant trente-six ans sous huit rois mongols. Quant à Rabban Sauma, son compagnon, que le roi mongol de Perse Argoun (1284-1291) envoya de Maragha – en Azerbaïdjan persan – en ambassade auprès du pape et des rois de France et d'Angleterre en 1287-88, il était évêque de la province de Tangout et de souche ouïgour.

L'araméen, langue graphique des peuples d'Asie

Comme les religions véhiculent toujours des langues avec elles, l'alphabet araméen, dont les moines nestoriens de Bet 'Abé – en Mésopotamie – furent les colporteurs, servit autrefois de langue graphique pour la transcription des cultures de plusieurs peuples d'Asie, notamment pour les Ouïgours. Ces derniers le transmirent aux Sogdiens, aux Mongols et aux Mandchous. Les Ongüt avaient une onomastique souvent araméo-nestorienne. Des prénoms comme Dinkha, Ishou, Yakou, Yonan, Shimoun, Loucrendus, avec des variantes selon les langues, étaient en usage parmi eux, rapporte Paul Pelliot. D'ailleurs les monuments nestoriens attestent de la présence de l'araméen : ainsi le mémorial bilingue – en chinois et en araméen estrangelo – de Si-ngan-fou. Érigé en Chine – Beit Sinayé – à Xi'an, en 781, dans l'enceinte du monastère de Ta T'sin fondé en 638, ce mémorial relate les activités missionnaires nestoriennes dans ce pays depuis 635.

La stèle de Xi'an ou stèle de Si-ngan-fou

Bien avant les missionnaires franciscains, dominicains et jésuites, la Chine fut, comme nous le constatons, une terre de prédication pour l'Église d'Orient. En effet, les premiers moines lettrés envoyés en Chine le furent par le patriarche Isho'yahb II de Gdala en 630. Xi'an était la capitale de la province de Shaanxi. Cette stèle de Xi'an fut déterrée en 1623 par les Pères jésuites. Ce fut à l'époque un événement important en Europe. Voltaire l'évoque avec surprise et ricane de son authenticité dans une lettre de 1776. Il la considère comme « une pièce curieuse », voire le produit du « charlatanisme » de nestoriens « hérétiques ». Il écrit : « Mais ces commentateurs ne songent pas que les chrétiens de Mésopotamie étaient des nestoriens qui ne croyaient pas en la sainte Vierge mère de Dieu. Par conséquent, en prenant Olupuen pour un Chaldéen dépêché par les nuées bleues pour convertir la Chine, on suppose que Dieu envoya exprès un hérétique pour pervertir ce beau royaume ». Le nom sinisé du premier missionnaire chaldéen mentionné sur la stèle est Alopen – Abraham ou Laban –, accompagné de soixante-dix moines.

La stèle, divisée en cinq parties, fournit des données historiques et traite d'aspects théologiques et doctrinaux. La partie principale est constituée d'un résumé doctrinal de la foi de l'Église d'Orient, rédigé par le prêtre sogdien Adam, de son nom chinois King-Tsing, du monastère de Ta T'sin, une personnalité compétente dans les langues chinoise, ouïgour et sogdienne. On y traite de Dieu, de la Trinité, de la création, de la justice originelle, de la Chute, de l'Incarnation, de la Rédemption, de l'Ascension… La stèle relate aussi les étapes de l'expansion de l'Église d'Orient en Chine et l'accueil favorable réservé par la dynastie des T'ang – qui régnèrent de 618 à 907 – et les circonstances de son érection. Le nom de Mar Khenanisho II, patriarche en 774, figure sur cette stèle. Cette « religion rayonnante », Jingjiao, sera protégée en vertu d'un prescrit impérial du souverain de la dynastie T'ang, T'ai-Tsung (626-649), promulgué en 638, autorisant ces missionnaires à construire des églises et ouvrir des séminaires : « Le moine Alopen de Perse, est venu de loin avec des Écritures et des doctrines. Nous trouvons cette religion excellente et séparée du monde, et nous reconnaissons qu'elle est vivifiante pour l'humanité. Elle vient au secours des êtres vivants, est bienfaisante pour la race humaine. En conséquence, elle est digne d'être répandue dans tout le céleste Empire. Nous décrétons qu'un monastère sera construit par l'administration compétente dans le quartier de Yi-ming et que vingt-et-un prêtres y seront assignés. »

Sous ce même empereur, le patriarche de l'Église d'Orient, Mar Ishoyahb II de Gdala (628-646) envoya en Chine des prédicateurs qui furent reçus par Fang-hiuen Ling, ministre de l'empereur, dont le nom figure sur la stèle. Kao Tsung (650-683), le successeur de l'empereur T'ai Tsung, élargit les avantages concédés et conféra à Alopen le titre de « gardien de la grande doctrine ». Les empereurs Hiouen Tsung (712-754) et Sou Tsung (756-762) maintiendront la même politique. Aussi l'Église d'Orient se répandit-elle dans six provinces et plusieurs monastères furent construits dans le pays. C'est dans ces conditions favorables que l'Église d'Orient put se propager dans plusieurs provinces chinoises, notamment au nord du pays, à Ordos, et plusieurs lieux de culte furent édifiés. Le patriarche Mar Timothée Ier (780-823), contemporain de la stèle, éleva l'évêque de Chine au rang de métropolite qui venait au quatorzième rang parmi les électeurs patriarcaux.

Une copie de la stèle de Xi'an fut offerte au pape Jean-Paul II par le patriarche de l'Église assyrienne de l'est, Mar Dinkha IV, le 11 novembre 1994, lors d'une rencontre historique à Rome.

Les vestiges de l'Église d'Orient en Chine

Depuis le XIXe siècle plusieurs découvertes ont été faites en Chine qui ont révélé l'existence d'un art chrétien nestorien fort prospère. Nous avons parlé plus haut de la stèle de Si-ngan-fou. Un psautier du VIIe siècle, écrit en langue pehlévie, a été retrouvé dans l'oasis de Turfan située au sud-est de la ville d'Urumqi, sur les routes de la soie, au début du XXe siècle. Des orientalistes allemands, Albert von Le Coq, Albert Grünwedel et F.W.K. Müller, lancèrent en effet des expéditions archéologiques en Asie centrale et explorèrent les restes des anciennes églises au Turkestan chinois – le Hsin-chiang –, près de Turfan, à Idyqütshähri. Ils y ont retrouvé des fresques nestoriennes, des icônes et des représentations de croix. Lors de leur deuxième expédition, ils ont exhumé des fragments de manuscrits nestoriens en langue sogdienne, dont un lectionnaire. Les « manuscrits de Turfan » sont conservés au musée de Berlin.

À Dun-huang, jadis centre chrétien composé de « nestoriens » d'ethnie turque, mais aussi chinoise, ouïgour et tibétaine – dans l'actuel Gansu, province du nord-ouest de la Chine –, Sir Aurel Stein a découvert en 1907 une icône nestorienne peinte sur soie. Dans cette même région, Paul Pelliot (1875-1945), linguiste et explorateur français, a retrouvé en 1908 dans la grotte des Mille Bouddhas de Dun-huang, grâce à un moine taoïste, les titres de trente-cinq ouvrages religieux murés dans le sable pendant plus de mille ans, traduits de l'araméen en chinois vers la fin du VIIIe siècle, et une collection de manuscrits chinois, tibétains, sanscrits et ouïgours. Dans cette précieuse et monumentale collection, il y a une hymne chinoise à la Trinité et une croix nestorienne dessinée sur un document tibétain, qui datent du VIe et du IXe siècles. Il a également trouvé des offices religieux dits en chinois, composés par Adam, auteur de la stèle de Si-ngan-fou, qui était versé dans la littérature chinoise et ouïgour. Le même Paul Pelliot a découvert dans les grottes chinoises de Dun-huang, en 1906-1909, une croix nestorienne antérieure à 1035, et d'autres documents datant de 760 à 822. Cette région fut naguère un centre nestorien important de races turque, chinoise et tibétaine. En Mongolie intérieure, à Olon Sümäyintor, Owen Lattimore a retrouvé, en 1933, les restes d'une église nestorienne à vingt kilomètres au nord-est de Palling-Miao. Des ruines d'églises nestoriennes à Karakorum ont été excavées.

Mais la réaction nationaliste en Chine, qui accompagna l'arrivée au pouvoir de la dynastie des Ming (1368-1644) succédant aux Yuan, réduisit toute chance de survie de l'Église d'Orient. Les étrangers furent chassés et tout s'écroula. Les vestiges découverts de temps en temps et les excavations archéologiques, comme celles de Martin Palmer, sont autant de réminiscences qui viennent nous rappeler, ici et là, ce passé enfoui mais glorieux.

Joseph Yacoub