mardi 27 septembre 2011

L’exode des chrétiens d’Irak continue. Mgr Yakan accompagne ces exilés


Baptême de la trinité à Istanbul
Mgr Yakan avec des fidèles irakiens

Source : Oeuvre d'Orient

Les Assyro-chaldéens de Turquie accueillent ces chrétiens, sur la route de l’exil, et rendent un peu moins pénible leur séjour en transit.

Dans une lettre récente au P.Pascal Gollnisch, Mgr Yakan, Vicaire Patriarcal des Assyro-Chaldéens de Turquie, fait écho des difficultés rencontrées par les chrétiens irakiens dans leur exil et remercie l’Œuvre d’Orient pour son aide apportée.

« Comme vous le savez l’exode des chrétiens d’Irak continue, même si cet afflux n’est pas aussi intense que fin 2010. En sept mois (de janvier à juillet 2011) nous avons accueilli plus de 645 personnes ; conséquences des menaces toujours actives contre les chrétiens. Le rapport du Human Right Watch en 2009 avait demandé aux autorités (Irakienne et Kurde) de protéger, dans tout le pays, les minorités qui sont prises pour cible, y compris au nord… Hélas, les mesures tardent à venir et à la fois les chrétiens et les autres minorités continuent à se réfugier dans les pays voisins.

En Syrie, Jordanie, Liban et Turquie, nous avons écouté toutes les difficultés de tous genres des réfugiés :

Leurs souffrance est à la fois matérielle, physique, intellectuelle et morale ; il est clair qu’à l’heure actuelle les réfugiés ne veulent plus retourner en Irak, même si on leur propose des aides au retour, car ils y sont périodiquement la cible d’attentats; le dernier en date, le 2 août 2011 à Kirkouk.

[…] La situation des réfugiés irakiens en attente n’est pas résolue… : en effet, dans tous ces pays voisins de l’Irak, les réfugiés n’ont pas le droit de travail et ne bénéficient pas de tous les services des États… : éducation, santé, logement, libre circulation… Ils sont tolérés, en transit pendant des mois, voire des années, jusqu’à ce qu’ils soient acceptés dans un pays d’accueil.

Les communautés chrétiennes et les associations font leur possible quotidiennement pour aider ces personnes sans patrie et sans ressources…

Pour ce qui est de la situation en Turquie, nous continuons à souffrir avec les exilés…

Comme vous le savez, uniquement sur le mois de novembre et décembre 2010, nous avons reçu 1.138 réfugiés dans un état dramatique et de peur… Aux plus nécessiteux parmi eux, nous avons habillé 157 enfants de 0-17 ans, distribué à ces familles traumatisées des bons alimentaires, vacciné les enfants, procuré des médicaments aux malades. […] Malheureusement, nous n’avons pas pu aider tous les réfugiés qui ont frappé à notre porte, (en cinq mois plus de 1 430 demandes). Nous privilégions les familles nombreuses (109), les femmes seules (26), les malades et les personnes seules.

Plus de 43 bénévoles, de toute religion, se sont mobilisés autour de moi pour poser leur regard sur ces réfugiés avec amour et se sont mis au service de ces réfugiés qui ont tout laissé derrière eux en Irak. […] Nous avons travaillé selon l’esprit humain et évangélique

« j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu froid et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger et vous m’avez recueilli… » Mt.25 ; 35-46

Avec ces bénévoles j’ai constaté l’application de ces paroles de Jésus, tout en pensant sincèrement à vous, et à tous les donateurs de l’Œuvre d’Orient. […]

Un grand merci à vous et à tous les donateurs de l’Œuvre d’Orient. Car vos dons sont distribués quotidiennement aux plus nécessiteux. En vérité sans votre aide, notre action serait très limitée !

Mgr François Yakan, Vicaire Patriarcal des Assyro Chaldéens de Turquie

Faire venir 17 irakiens de Mossoul, un défi relevé par le Père Sabri Anar


Source : Oeuvre d'Orient

Le curé de la paroisse chaldéenne de Sarcelles témoigne « On a eu l’expérience qu’on a voulu, on s’est battu pour la réaliser. »

17 garçons et filles de Mossoul, étudiants comme professionnels, sont partis aux JMJ avec la paroisse chaldéenne de Sarcelles. Accompagnés du prêtre qui les avait préparés en Irak, ils sont arrivés 2 jours avant le départ dans les diocèses espagnols et repartis une semaine après la fin : une occasion rare de partage et d’échange.

Comme un rêve

« Ces irakiens n’avaient jamais été aux JMJ. C’est une chance incroyable de découvrir ainsi, et à travers cette foule immense, la jeunesse chrétienne de l’Europe. Pour eux ce fût comme un rêve. Pour nous, c’était merveilleux d’assister à cette joie qui sortait des visages ».

Une intégration rapide

« S’adapter ne fût pas aisé pour des raisons pratiques. Ils ne savaient pas du tout à quoi s’attendre en terme d’organisation. Pour la première fois ils dormaient dans un sac de couchage, se lavaient dans des douches publiques et dormaient par terre ! Les membres des 2 groupes (français et irakiens) ne se connaissaient pas. Pourtant très vite des amitiés se sont nouées. Des personnes extérieures au groupe, qui s’attendaient à quelque chose de spécial de la part des irakiens ont dû être déçues ! Car tous nos jeunes, de Sarcelles comme de Mossoul, parlaient chaldéen. Ils se sont trouvés plein de choses en commun ».

Un autre regard

« Cet échange a été très enrichissant : les irakiens appréhendaient ces journées autrement. La différence entre un jeune d’Europe et un jeune d’Orient se voyait dans la manière de réagir, d’accepter la réalité des choses. Dans leur pays ils vivent une autre expérience de la Foi en la confrontant au quotidien avec l’Islam, avec la pauvreté, la souffrance, la situation économique, sociale et culturelle… »

Et après ?

« Le contact entre nous va continuer. On ne sait pas encore très bien comment car la distance est grande. Leur évêque, Mgr Nona, Evêque chaldéen de Mossoul, est venu cette semaine en France, et on a célébré ensemble une messe d’action de grâces pour les JMJ.

Les orientaux sont partis transformés, en ayant le rêve de revenir. Cela a du être dur de retourner dans la « prison » qu’est devenue Mossoul. On a du mal à réaliser vers quel avenir ils sont repartis. »

« Merci à l’Œuvre d’Orient de nous avoir permis de vivre ce projet ! »

Patriarche Bechara Raï : ce qu’il a vraiment dit à Paris


S.B. Bechara Raï et Père Pascal Gollnisch
lors de la conférence de presse à la CEF

Source : Oeuvre d'Orient

Lors de la conférence de presse organisée par l’Œuvre d’Orient et la CEF à l’occasion sa visite en France, les propos tenus par le patriarche maronite Bechara Raï ont suscité une importante polémique au Liban et des réactions contrastées tant en France qu’aux États-Unis. Son discours concernant la Syrie et le Hezbollah, remis dans son contexte, prend un tout autre sens que celui donné par les journalistes libanais accompagnant la délégation.

Antoine Fleyfel, libanais, Docteur en Théologie (Strasbourg) et en Philosophie (Paris 1 - Sorbonne) a assisté à cette conférence de presse le mercredi 7 septembre 2011 pour l’Œuvre d’Orient. Il nous résume, sans parti pris, ce que le patriarche a vraiment dit.

La visite du patriarche maronite Bechara Raï s’inscrit dans le cadre d’une ancienne tradition, consistant en ce que le président français adresse au prélat nouvellement élu une invitation officielle pour visiter la France. Cette visite met en exergue des rapports d’amitié historiques, véhicules de la francophonie au Liban qui partage avec la France des valeurs communes, comme la liberté, les droits de l’homme, la démocratie, la pluralité et l’ouverture.

Les chrétiens au Liban et au Moyen-Orient

Le patriarche a exposé la situation des chrétiens au Liban, où la communauté maronite, qui a eu une contribution significative pour la renaissance du monde arabe, joue un rôle politique important. Celui-ci dérive de la nature de la République libanaise, fondée sur un pacte oral établi entre les chrétiens et les musulmans, qui partagent le pouvoir politique à égalité, dans le cadre d’un État civil respectueux du pluralisme religieux. Cela fait exception parmi les pays du Moyen-Orient, gouvernés par des régimes théocratiques ou totalitaires.

« La guerre a été dépassée au Liban, dit le patriarche, les blessures ont été pansées. Il n’y a plus de problèmes de convivialité entre les chrétiens et les musulmans. Nous sommes en train de reconstruire notre pays ensemble ! ». Cependant, c’est au niveau politique que les choses se compliquent, puisque le « problème actuel, lié aux conjonctures régionales et internationales, se résume au Liban par un conflit entre musulmans chiites et sunnites. Par conséquent, nous vivons une crise politique au niveau du gouvernement, à cause des deux forces qui cherchent chacune à paralyser l’autre, et nous payons le prix… parce que cela crée aussi des divisions entre les chrétiens, à cause des options qu’ils ont prises en s’alliant aux sunnites ou aux chiites ».

L’Église maronite joue un rôle pour apaiser cette tension intra-chrétienne et intra-libanaise. Mgr Raï évoque les réunions mensuelles qu’il organise avec les responsables de deux camps chrétiens en vue de leur rapprochement et de la résolution de leurs problèmes communs, comme les ventes de terrain, l’absence des chrétiens de certains postes de la fonction publique, la loi électorale, etc. Par ailleurs, suite au souhait des musulmans, un sommet des responsables religieux musulmans et chrétiens s’est tenu au siège du patriarcat maronite au mois de mai. L’organisation d’un sommet islamo-chrétien moyen-oriental, qui déboucherait sur une déclaration commune de convivialité, est en cours. Cela devrait avoir des conséquences bénéfiques pour la convivialité islamo-chrétienne au Moyen-Orient, surtout en Égypte et en Iraq.

Par ailleurs, le patriarche a rappelé que les chrétiens moyen-orientaux contribuent au développement de leurs pays, mais subissent cependant des régimes théocratiques. Cela est la source du problème des chrétiens dans les pays du monde arabe, où ils sont réduits à être des citoyens de « second degré ». C’est pour cela qu’ils conçoivent le Liban comme leur espérance, parce que sa formule de convivialité constitue un espoir d’avenir.

Le printemps arabe

Les injustices au monde arabe mènent aux réclamations justes des peuples qui veulent vivre dignement : « Nous sommes avec toutes les réformes, dit le patriarche, mais nous avons exprimé nos craintes aux hautes autorités françaises », et elles sont au nombre de trois.

1. La crainte de remplacer des régimes actuels par d’autres plus durs et intégristes.

2. La crainte d’aller vers des guerres civiles de type confessionnel comme en Iraq.

3. La crainte du « fameux projet du nouveau Moyen-Orient » qui mènerait à la partition, voire à l’effritement des pays arabes en petits États confessionnels.

Concernant la Syrie, Mgr Raï rappelle les principes et les constantes de l’Église qui respecte les droits des peuples et leur liberté, qui condamne la violence et la guerre, et qui ne prend pas position en soutenant un régime ni en s’y opposant. Cependant, « nous ne nous soucions pas seulement des peuples des pays voisins… mais aussi de nos chrétiens parce que nous payons toujours le prix ». C’est dans ce cadre que le patriarche déclare : « Nous avons enduré le régime Syrien au Liban, je ne l’oublie pas. Mais M. Assad a commencé une série de réformes politiques. Il fallait lui donner plus de chances pour soutenir les réformes internes, et surtout pour éviter la violence ».

Le Hezbollah et l’appui de la France

« Le Hezbollah pose un problème à cause de ses armes qu’il dit porter pour défendre sa terre ». Pour résoudre ce problème, le patriarche maronite demande de l’aide à la France, afin d’invalider les trois arguments utilisés par le Parti de Dieu pour justifier la présence de ses armes, à savoir : a) l’occupation d’Israël d’un bout de territoire du sud libanais, b) le problème des réfugiés palestiniens armés au Liban, c) et les faibles capacités militaires de l’armée libanaise qui serait incapable de protéger le territoire national. En appliquant les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies a) sur le retrait entier d’Israël du Liban, b) sur le retour des réfugiés palestiniens, c) et en armant convenablement l’armée libanaise, Mgr Raï considère qu’on éliminera les causes pour lesquelles le Hezbollah justifie le maintien de ses armes.

Enfin, Sa Béatitude Béchara Raï rappelle que le Synode des évêques pour le Moyen-Orient est un acte prophétique qui donne un élan et une poussée aux chrétiens d’Orient. Il promet de poursuivre son activité dans le sens de cet élan, en agissant sur un plan pastoral, avec les responsables politiques de la région et avec la communauté internationale.

mercredi 7 septembre 2011

Irak: Les archevêques de Mossoul et d’Erbil pessimistes sur le sort des chrétiens d’Irak


Source : APIC

Les musulmans convaincus de la supériorité de leur religion

Bruxelles, 7 septembre 2011 (Apic) Les chrétiens sont aujourd’hui encore pourchassés à l’intérieur de l’Irak, et le reflux de nombre de chrétiens irakiens réfugiés en Syrie suite aux graves troubles que connaît ce pays les met dans une situation dramatique. Dans des villes comme Mossoul et Bagdad, les chrétiens sont toujours en danger de mort, affirme Mgr Emil Nona, archevêque chaldéen de Mossoul.

Irak Mgr Emil Nona, archevêque chaldéen de Mossoul (Photo: Jacques Berset)

Mgr Emil Nona participait mardi soir 6 septembre à Bruxelles, en compagnie de Mgr Bashar Warda, archevêque chaldéen d’Erbil, à une manifestation organisée par la Commission des Episcopats de la Communauté européenne (COMECE).

Les musulmans disposés au dialogue n’ont aucune influence

Au cours de la réunion de la COMECE, tant Mgr Nona que Mgr Warda ont relevé qu’un dialogue avec l’islam, tel qu’ils le vivaient sur place, n’était pas possible. Les partenaires musulmans à ce dialogue sont fondamentalement convaincus de la supériorité de leur religion. Et ceux qui seraient prêts à discuter avec les chrétiens n’ont aucune influence au sein de la communauté musulmane, déplorent-ils.

En raison des troubles qui paralysent la Syrie depuis quelques mois, les chrétiens irakiens réfugiés dans le pays voisin reviennent, mais ils sont désormais des sans-abri en Irak. Dans l’archidiocèse de Mossoul, a déclaré Mgr Nona, le nombre de chrétiens est passé depuis 2003 – date de l’invasion américaine de l’Irak – de 30’000 à 13’000 aujourd’hui. Celui qui en a les moyens, essaie de fuir et de s’installer à l’étranger, en particulier en Europe, tandis que d’autres se réfugient dans les régions septentrionales du pays, au Kurdistan irakien.

Manque de perspectives au Kurdistan

Dans la région autonome du Kurdistan, les chrétiens ne sont certes pas en danger de mort comme à Mossoul, mais la sécurité, tant du point de vue social qu’économique, fait défaut. Dans cette région, le nombre des chrétiens est passé depuis 2003 de 5’000 à 28’000. L’Eglise est pour ces réfugiés la seule instance qui les aide dans tous les domaines, que ce soit pour les questions de logement, de places de travail, ou pour les soins médicaux.

Cette situation place les agents pastoraux devant d’énormes tâches, ont souligné les deux prélats irakiens. Plusieurs fois dans leur vie, nombre de ces chrétiens ont tout perdu: cela vaut pour la génération de ceux qui ont été chassés des villages chrétiens du Kurdistan du temps de Saddam Hussein, et qui y retournent pour fuir la violence dans les autres parties de l’Irak où ils s’étaient réfugiés à l’époque.

Les deux archevêques chaldéens ont appelé les membres de la minorité chrétienne à les aider à mettre sur pied des institutions, comme des jardins d’enfants, des écoles et des universités. Mgr Nona et Mgr Warda relèvent que ces institutions créent des places de travail mais contribuent également à faire de cette petite minorité une forte communauté.

Le régime syrien ne protège pas les minorités mais les utilise pour se protéger



Source : Blog d'Ignace Leverrier, ancien diplomate

Le régime syrien excelle à se donner des rôles. Il a en effet besoin de démontrer à l’opinion publique intérieure comme à la communauté internationale qu’il est "indispensable" aux équilibres régionaux, à défaut de contribuer à la paix régionale. Installé à la tête de ce régime, en juillet 2000, par un coup d’état constitutionnel - l’amendement de l’article 83 fixant à 40 ans l’âge minimum d’accession à la magistrature suprême, ramené à 34 ans en un éclair pour permettre l’accession au pouvoir de celui que le défunt "président éternel" Hafez Al Assad avait désigné comme son successeur - Bachar Al Assad s’est efforcé, au cours de ses dix premières années de pouvoir, de se forger une image. A l’intérieur et face aux opinions arabes, il a tenté de se faire passer simultanément pour le champion de la résistance aux projets israéliens, le héraut du refus des injonctions néo-impérialistes, le porte-parole des fiertés et dignités arabes, l’ultime protecteur des Palestiniens aspirant à la reconnaissance de leurs droits spoliés, etc… Face aux Etats occidentaux, publiquement soucieux de la survie des communautés chrétiennes de la région menacées de disparition, et plus discrètement engagés dans la défense des intérêts légitimes comme des agissements les moins admissibles de l’Etat d’Israël, il a veillé, comme son père avant lui, à faire oublier que la politique du régime, officiellement laïque, reposait en réalité sur des bases éminemment confessionnelles, de manière à se présenter en "protecteur des minorités".

Au cours des années écoulées, Bachar Al Assad a ainsi mis en scène la cohabitation sans nuage, à l’ombre du Parti Baath, des multiples confessions - mais non celle des diverses ethnies… - qui composent la société syrienne et qui lui donnent son incomparable richesse. Rares sont les délégations d’académiciens, de parlementaires, de lobbyistes occidentaux à avoir échappé, lors de leurs visites en Syrie, au rite de la rencontre avec un panel de dignitaires religieux, soigneusement choisis au sein des différentes communautés musulmanes et chrétiennes. On peut comprendre que ces délégations n’aient pas trouvé à s’étonner de l’absence, parmi leurs interlocuteurs, d’un représentant de la communauté juive syrienne, aujourd’hui réduite à sa plus simple expression, et avec qui, pour ménager certaines susceptibilités, les rencontres sont toujours entourées d’une grande discrétion. On comprend moins que ces délégations ne se soient jamais étonnées du fait que, dans ce pays "laïc", leurs interlocuteurs privilégiés étaient des religieux et non pas des responsables, si ce n’est de partis politiques d’opposition, du moins de formations cooptées par le "parti dirigeant de l’Etat et de la société" pour offrir l’illusion du multipartisme en Syrie. Quoi qu’il en soit, la mission des dignitaires religieux désignés par le régime pour ces entretiens n’était pas de tresser les louanges du pouvoir qui les avait convoqués, au Complexe Ahmed Kaftaro ou au monastère de Mar Moussa de préférence. Plus subtilement, elle était de démontrer aux visiteurs, par leur attitude et par leurs propos, "la profondeur de la fraternité et de l'amour" qui, grâce aux efforts du régime et du chef de l’Etat, régnait partout en Syrie, entre eux-mêmes et leurs ouailles.

Il est grand temps de montrer ou de redire ce qu’il en est de la "protection des minorités" par le pouvoir syrien. Ce rappel s’adresse à ceux qui, fermant les yeux sur les crimes commis au quotidien contre la population syrienne dans son ensemble, continuent de plaider pour le maintien du régime en place, sous le prétexte qu’il serait seul en mesure de garantir la pérennité, dans des conditions décentes, non seulement des minorités confessionnelles dans son pays, mais également des chrétiens partout dans la région. Il s’adresse également à ceux qui parent ce régime de toutes les vertus, et qui sont prêts à fermer les yeux sur l’appartenance de la majorité des victimes à la majorité sunnite de la population, implicitement considérée comme favorable aux Frères Musulmans, si ce n’est gagnée à la cause de prétendus "groupes terroristes islamiques armés", dont on a naguère rappelé qu’ils faisaient davantage le jeu du régime que celui de la contestation.

Il est remarquable que ceux qui évoquent la situation plus que dangereuse dans laquelle se retrouveraient les minorités en cas de disparition du régime syrien - comme le député franco-libanais Nabil Nicolas, proche du général Michel Aoun, déclarant (le 23 mai 2011) sur la chaîne Al Manar du Hizbollah que "la chute du régime syrien signifierait l'élimination des minorités de la région", ni plus, ni moins... -, évitent pudiquement de désigner contre qui ce régime "protège" les minorités et "garantit leur avenir". Faisons-le donc pour eux et nommons l’ennemi, la menace et le danger : la communauté sunnite majoritaire en Syrie. Il n’est pas difficile de donner du crédit à une telle affirmation. Il suffit de forcer le trait et de s’arranger pour présenter cette communauté comme liée d’une manière ou d’une autre aux ennemis déclarés du régime syrien : les Frères Musulmans et les organisations islamistes radicales. Peu importe que les premiers nommés aient été éradiqués en Syrie et que, condamnés à mort depuis 1980, ils n’y comptent plus aucun adhérent. Peu importe qu’ils aient dit et répété, depuis le début des années 2000, pour ne pas remonter au-delà, qu’ils avaient eu tort, dans les années 1970-1980, de se lancer dans la partie de bras de fer que leur proposait alors le pouvoir et qu’ils avaient définitivement renoncé à la violence. Peu importe qu’ils affirment, depuis le début de la contestation en Syrie qu’ils n’en sont pas à l’origine et que, s’ils l’approuvent et la soutiennent, ils ne la conduisent pas et ne la contrôlent pas. Peu importe que l’existence et l’autonomie des organisations islamistes radicales par rapport au pouvoir soient entourées en Syrie de bien des interrogations. Peu importe qu’aucun témoin impartial n’ait été en mesure de confirmer leur présence dans les manifestations en Syrie. Peu importe qu’elles n’aient jamais publié un seul communiqué revendiquant leurs opérations ou annonçant leur intention de mettre en application un programme qui apparenterait bientôt ce pays à l’Arabie Saoudite.

En réalité, ce qui inquiète les amis du régime syrien c’est la possibilité que le pouvoir perde sa forme actuelle, et qu’il échappe à la famille Al Assad. Issue de la communauté alaouite minoritaire, celle-ci s’est arrangée pour édifier autour d’elle une sorte de ceinture de sécurité dans laquelle elle a regroupé, face à la communauté majoritaire privée de toute emprise sur la vie politique, l’ensemble des minorités. La question n’a rien de religieux. Elle est bassement utilitaire. Contrairement à ce que la propagande du régime colporte, y compris avec le relais d'une religieuse chrétienne contrainte de rembourser d'une manière ou d'une autre les multiples passe-droits dont elle a bénéficié de la part des autorités syriennes, personne ne songe en Syrie à chasser les chrétiens vers Beyrouth, à mettre au tombeau les alaouites, à exterminer les ismaéliens, à éradiquer les druzes, les baha’is ou les yézidis. En revanche, beaucoup, dans l’ensemble des communautés, et en particulier dans la communauté sunnite puisqu’elle est à la fois majoritaire et marginalisée, veulent en finir avec un système qui n’est pas bâti sur des principes politiques, mais sur des ambitions strictement familiales, permettant à une variante locale de la famille Corleone de confisquer le pouvoir depuis plus de 40 ans, d’en gérer la sécurité au mieux de ses seuls intérêts et de capter à son profit l’essentiel des ressources économiques du pays.

Des travaux savants, comme ceux de l’ambassadeur hollandais Nikolaos Van Dam (The Struggle for Power in Syria: Sectarianism, Regionalism and Tribalism in Politics, 1961–1994), ou de l’universitaire irakien Hanna Batatu (Syria’s Peasantry, the Descendants of its Lesser Rural Notables, and Their Politics) ont expliqué depuis longtemps comment le pouvoir a échu en Syrie, au tournant des années 1960-1970, entre les mains d’un groupe de militaires appartenant à la communauté alaouite, et comment ils se sont arrangés pour en conserver le monopole. La lutte pour le pouvoir a eu deux volets : au plan politique, elle a vu le Parti Baath se débarrasser progressivement des autres formations politiques, en particulier le Parti de l’Union Socialiste Arabe (nassérien), avec lequel il avait mené, en 1963, le premier coup d’état ; au niveau social, elle a vu la communauté alaouite traversée, en 1970, par une lutte intestine entre les partisans de Hafez Al Assad et de Salah Jadid pour la dévolution ultime du pouvoir, une fois les représentants des autres communautés définitivement asservis ou mis à l’écart.

Sous le couvert du Parti Baath, qui établissait son contrôle sur les travailleurs et les paysans, les militaires alaouites ont cherché à fédérer autour d’eux des représentants de toutes les autres communautés, restreignant leur choix à ceux qui, renonçant à contester l’accaparement du pouvoir réel par des membres issus d'une minorité, étaient prêts à jouer le rôle de comparses et à se contenter d'assumer des fonctions dans le pouvoir virtuel. Les crises successives - la guerre d’octobre 1973, l’entrée des troupes syriennes au Liban en 1976, le mouvement de contestation du Parti Baath du début des années 1980, la lutte armée avec les Frères Musulmans en 1982… - n’ont rien modifié à cette situation, bien au contraire. Ce n’est pas parce que des sunnites ont occupé et occupent encore des postes de grande visibilité - la vice-présidence de la République (Abdel-Halim Khaddam, de 1985 à 2005, puis Farouq Al Chareh et Najah Al Attar, jusqu’à ce jour), la direction du conseil des ministres (Abdel-Raouf Al Kasm, Mahmoud Al Zoubi, Moustapha Miro, Naji Otri, Adel Safar), le perchoir de l’Assemblée du Peuple (Abdel-Qader Qaddoura, Mahmoud Al Abrach), la fonction de Chef d’Etat-major… devenu un tremplin pour le portefeuille de ministre de la Défense (Moustapha Tlass, Hasan Tourkmani) - qu’ils ont pesé et qu’ils pèsent de quelque manière dans la vie politique. Les alaouites, qui monopolisent le pouvoir réel, grâce au contrôle et au noyautage par des membres de leur communauté des services de sécurité, des unités d’élite de l’Armée et de la Garde Républicaine, attendent de ces faire-valoir, comme des intellectuels, des hommes de religion et des hommes d’affaires de leurs communautés, qu’ils fassent nombre autour d’eux et qu’ils contribuent, comme le Front National Progressiste dans la vie politique, à offrir l’apparence d’un système syrien ouvert et pluraliste.

Pour convaincre les uns et les autres de se rallier à lui, sous Hafez Al Assad comme sous Bachar Al Assad, le régime a recours à divers moyens et subterfuges : l’idéologie pour les uns, l’intérêt matériel pour d’autres, l’aspiration à la reconnaissance et aux honneurs pour quelques uns, la méfiance si ce n’est la peur des autres communautés pour tous… Les sunnites, qui représentent, arabes et kurdes réunis, entre 75 et 80 % la masse de la population, sont devenus un épouvantail utile dans cette tentative de rassemblement des minorités. Surtout après les événements sanglants de la fin des années 1970 et du début des années 1980. La propagande du régime a alors consisté à opposer à toute demande d’ouverture politique la perspective d’une arrivée au pouvoir des Frères Musulmans, fanatiques, sanguinaires, rétrogrades, traitres à leur pays, vendus à l’Occident... Mais, vis-à-vis de ceux qui refusaient de se laisser tromper, séduire et finalement coopter par lui, le régime n’a pas craint d’utiliser les armes réservés à ses "ennemis" politiques : la menace, le chantage et finalement les sanctions.

Tout en affirmant "protéger" les minorités, le régime syrien n’éprouve aucune gêne à sévir contre les membres de ces mêmes minorités qui refusent de se comporter à son égard en "dhimmi-s" politiques, autrement dit en "protégés", et qui réclament d’être traités, eux et tous les autres Syriens, en citoyens libres, égaux en droits et en devoirs. Faut-il rappeler, pour ne prendre qu'un exemple, que les Assyriens, qui ont jadis donné leur nom à la Syrie et qui, entre Syriaques et Chaldéens, y comptent près d’un million d’âmes, y sont aussi brimés que les Kurdes, les Arméniens ou les Tcherkesses, dans leurs revendications "nationales" qui n'ont rien de séparatistes ? Ils n’ont le droit ni de parler leur langue hors de leurs églises, ni de l’enseigner, ni de l’utiliser pour imprimer des journaux, ni de bénéficier de programmes de radios ou de télévisions dans leur langue, ni d’arborer leur drapeau "national", ni de célébrer leurs festivités… Faut-il rappeler que leur principal mouvement, l’Organisation Démocratique Assyrienne (ODA), a eu, dans la Syrie baathiste, une histoire mouvementée, parsemée de prisonniers politiques et de martyrs ? Faut-il rappeler qu’ils ne se reconnaissent nullement dans "l’Assyrien de service", Saïd Ilya, "élu" dans les conditions habituelles - c’est-à-dire "nommé" - au Commandement Régional du Parti Baath, lors de son 10ème congrès de juin 2005, pour faire croire que les Assyriens de Syrie, l’ensemble des chrétiens de ce pays et les habitants du gouvernorat de Hassakeh disposaient d’une voix au sein de la plus haute instance du parti réputé diriger l’Etat et la société ? Faut-il rappeler que, depuis le début des troubles, une douzaine de cadres dirigeants de l’ODA ont été emprisonnés parce qu’ils participaient aux manifestations, et qu’ils réclamaient de ce "régime-qui-protège-les-minorités" qu’il modifie son comportement vis-à-vis de l’ensemble de la population, qu’il lui accorde les libertés figurant en toutes lettres dans la Constitution et qu’il renonce à monopoliser le pouvoir ?

On pourrait en dire beaucoup sur les conditions faites à chacune des multiples communautés confessionnelles qui composent la Syrie. Elles sont toutes "protégées" de la même manière, avec la même brutalité que l’on voit à l’œuvre depuis le début du mouvement de contestation de la part des militaires et des moukhabarat accourus "au-secours-des-populations-en-butte-aux-islamistes-radicaux" à Daraa, Jisr al Choughour ou Maaret al Numan. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les alaouites ne sont pas mieux lotis à ce niveau que les autres. Du moins ceux d’entre eux qui refusent de faire allégeance au régime de Bachar Al Assad. Les uns parce qu’ils n’ont pas pardonné à Hafez Al Assad son comportement vis-à-vis de Salah Jadid, décédé en 1993 dans la prison où il avait été jeté en 1970. D’autres parce qu'ils n'ont toujours pas avalé la transmission dynastique du pouvoir et l’installation à la tête de l’Etat d’un jeune homme sans expérience, dont le seul atout était d’être "le fils de son père". D'autres encore parce que leurs sympathies sont situées plus à gauche que le "socialisme de la mamelle" du Parti Baath. Beaucoup enfin parce qu’ils n’ont jamais retiré le moindre profit, dans les villes, mais surtout dans les villages et les campagnes, de la monopolisation du pouvoir en Syrie, depuis près de 50 ans, par des membres de leur communauté. Leur situation est peu enviable. Ceux qui se taisent, s’abstiennent de critiquer le régime et supportent en silence les exactions des chabbihas, dont la particularité avant les événements était de s’en prendre de préférence aux membres de leur propre communauté, ne risquent pas grand-chose. Mais ceux qui se rebellent contre l’accaparement du pouvoir et qui dénoncent la volonté du régime de mettre tous les alaouites de son côté, en cherchant à leur faire croire qu’ils sont menacés et qu’ils seront exterminés au cas où il serait amené à disparaître, sont victimes d’une double peine. Sanctionnés pour leur refus de se plier à l’ordre en place, ils le sont aussi pour leur "trahison" à l’égard de leur communauté.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Bachar Al Assad, on ne compte plus les membres de communautés minoritaires qui ont été jetés ou qui, déjà détenus du temps de son père, ont été remis en prison pour des séjours plus ou moins longs. D’une manière ou d’une autre, leur faute est unique. Elle est toujours la même : en réclamant la démocratie au régime, ils laissent clairement entendre, quand ils ne l’écrivent pas, qu’ils font davantage confiance à la démocratie qu’au régime pour assurer leur protection et celle de tous les autres citoyens Syriens. Aucun d’entre eux ne se bat au nom ou dans l’intérêt de la communauté à laquelle il appartient, mais au nom et dans l’intérêt de tous les Syriens qui considèrent que, aussi imparfaite soit-elle, la démocratie doit être préférée, en Syrie comme ailleurs, à n’importe quel système prétendant assurer, et garantissant de fait pour autant qu’il y trouve son intérêt, la "protection des minorités".